Le président français Emmanuel Macron est arrivé jeudi à Beyrouth, frappé mardi par une double explosion. Alors que les secours continuent de chercher des victimes parmi les débris, il a été accueilli par son homologue libanais, Michel Aoun.
Deux jours après les violentes explosions qui ont réduit la capitale libanaise à une ville en état d’urgence et en proie au chaos, le président français Emmanuel Macron est arrivé jeudi 6 août à Beyrouth où il a été accueilli par son homologue libanais, Michel Aoun. « Le Liban n’est pas seul », a-t-il tweeté juste avant d’arriver sur le tarmac de l’aéroport.
« Ce soutien est une évidence qui s’impose parce que c’est le Liban, parce qu’est la France. Je devais être là pour apporter cette solidarité et cette fraternité », a ensuite déclaré Emmanuel Macron tout en mettant en avant l’aide apportée par la France qui a dépêché des équipes de secouristes et du matériel. Le président français a dit vouloir aider à organiser l’aide internationale.
Un dialogue de franchise avec les institutions libanaises
« Pour moi, cette visite est aussi un dialogue de franchise à l’égard des institutions libanaises », a-t-il ajouté en faisant référence à la crise politique qui touche le pays. « Si des réformes ne sont pas faites, le Liban continuera de s’enfoncer ». « On ne vous lâchera pas », a-t-il conclu en s’adressant au peuple libanais lors de cette première déclaration.
Emmanuel Macron s’exprime depuis Beyrouth
Emmanuel Macron est le premier chef d’État à se déplacer dans ce pays depuis la catastrophe de mardi. Accompagné par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, il s’est rendu sur le lieu de la catastrophe dans le port de la capitale. Un colonel de la sécurité civile française lui a dit avoir « bons espoirs » de retrouver une petite dizaine d’employés du port qui seraient coincés sous terre dans ce secteur.
Macron va proposer un « nouveau pacte » politique aux responsables libanais
Le chef de l’État a ensuite effectué une visite dans le quartier chrétien de Gemmayzé, dévasté par les explosions. Des Libanais massés sur son parcours ont conspué Michel Aoun, demandant l’aide de la France pour évincer les dirigeants au pouvoir. « Aidez-nous ! Révolution ! », a crié la foule en colère, s’en prenant au président libanais et répétant « le peuple veut la chute du régime ».
En réponse, le président français a assuré qu’il allait proposer un « nouveau pacte » politique aux responsables du Liban. « Je suis là aussi pour lancer une nouvelle initiative politique. C’est ce que je vais exprimer cet après-midi aux dirigeants et forces politiques libanaises », a-t-il lancé. Le président français va demander aux responsables « de procéder à des réformes […] de changer le système, d’arrêter la division du Liban, de lutter contre la corruption ».
Des entretiens sont ainsi prévus avec le président Michel Aoun, le Premier ministre Hassan Diab et le président du Parlement, Nabih Berri, ainsi qu’une conférence de presse aux alentours de 18h30 (17h30, heure de Paris).
Dans les rues de Beyrouth, Emmanuel Macron a été confronté à une situation « apocalyptique ». Des centaines de milliers de personnes sont brutalement privées de toit ou de ressources, alors qu’un bilan encore provisoire fait état d’au moins 137 morts et 5 000 blessés, selon le ministère libanais de la Santé.
Au moins 40 Français ont été blessés, d’après un nouveau bilan provisoire communiqué jeudi par le parquet de Paris. La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a aussi annoncé qu’un architecte français, Jean-Marc Bonfils, était décédé. Après la confirmation de cette mort, l’enquête ouverte mercredi pour « blessures involontaires » par le pôle accidents collectifs du parquet de Paris a été élargie à des faits d' »homicides involontaires ».
Un numéro d’urgence
Pour les ressortissants français présents sur place, l’ambassade de France a mis à disposition un numéro d’urgence : le +961 1 420 292, pour leur fournir une assistance si nécessaire.
Plusieurs pays ont aussi apporté leur aide pour faire face à l’urgence après la double explosion présentée comme accidentelle par les autorités qui a ravagé le port et une grande partie de la capitale.
« La situation est apocalyptique, Beyrouth n’a jamais connu ça de son histoire », a lancé le gouverneur de la ville, Marwan Abboud, qui avait éclaté en sanglots mardi devant les caméras face au port dévasté. Jusqu’à 300 000 personnes sont sans domicile selon lui. L’état d’urgence a été décrété pendant deux semaines.
Des dizaines de disparus
Les énormes déflagrations, les pires vécues par le Liban, ont été déclenchées par un incendie qui s’est déclaré dans un entrepôt abritant depuis six ans quelque 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, « sans mesures de précaution », selon les autorités. Elles ont pratiquement détruit le port et dévasté des quartiers entiers de Beyrouth, soufflant les vitres des kilomètres à la ronde.
Une source officielle, informée des premiers résultats de l’enquête sur les causes de la catastrophe, a déclaré que l’explosion était le résultat de négligences et que ce point avait été examiné à plusieurs reprises par différentes commissions et par la justice sans que « rien ne soit fait » pour ordonner l’évacuation de ces matières extrêmement dangereuses.
« 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées parmi la population depuis 2014, cela vous montre à quel point, nous vivons parmi des dirigeants irresponsables. Ce qui est absolument désastreux, c’est que ce sont ces mêmes personnes qui se trouvent aujourd’hui à la tête du gouvernement », a réagi sur l’antenne de France 24 Maya Chams Ibrahimchah, fondatrice de l’ONG Beit el-Baraka qui vient en aide aux démunis. « Ce sont les mêmes personnes qui depuis 1975 étaient les rois féodaux de la guerre civile et qui malheureusement sont toujours là. Nous avons des gouvernements successifs qui n’ont fait qu’enfoncer ce pays en le volant ».
« Nous avons des gouvernements successifs qui n’ont fait qu’enfoncer ce pays en le volant »
Selon Reuters, de source ministérielle, les autorités ont ordonné l’assignation à résidence des responsables portuaires chargés des entrepôts ou de surveiller les matériaux incriminés depuis 2014.
Tandis que les secouristes poursuivaient leurs recherches dans l’espoir de retrouver des survivants, des dizaines de personnes restaient portées disparues mercredi selon le gouvernement.
Cette tragédie frappe un pays plongé depuis des mois dans une très grave crise économique, marquée par une dépréciation inédite de sa monnaie, une hyperinflation, des licenciements massifs et des restrictions bancaires drastiques.
Ses effets ont été encore aggravés par la pandémie de coronavirus, qui a contraint ces derniers mois les autorités à confiner pendant plus de trois mois sa population.
L’Agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, la FAO, dit à présent craindre à brève échéance un problème de disponibilité de farine pour le Liban, des silos de céréales installés près du port ayant été éventrés.
« Nous allons nous trouver sans farine, sans lait, qui sont les deux choses les plus importantes. La consommation de viande a aussi chuté de 80 % », souligne Maya Chams Ibrahimchah, de l’ONG Beit el-Baraka. « Nous allons faire face à un très grand problème alimentaire. Ce n’est pas correct de parler de famine, quand nous voyons des pays comme le Yémen où des enfants meurent de faim. On n’en est pas là, mais nous sommes certainement sur le chemin d’une famine ».
La colère des Libanais
Sous le choc, les Libanais ont crié leur colère face à cette catastrophe de trop. « Partez tous ! […] Vous êtes corrompus, négligents, destructeurs, immoraux. Vous êtes des lâches. C’est votre lâcheté et votre négligence qui ont tué les gens », a lancé un journaliste libanais connu, Marcel Ghanem, dont l’émission télévisée jouit d’une grande audience. Le mot-dièse « Pendez-les » circulait sur Twitter.
L’importante diaspora libanaise a elle aussi réclamé des comptes. « Cette tragédie est une preuve de plus de l’incompétence de la classe politique qui a gouverné le Liban depuis plusieurs décennies », s’est indigné Antoine Fleyfel, philosophe et théologien franco-libanais, vivant en France.
Selon des sources de sécurité, les autorités du port, les services des douanes et des services de sécurité étaient tous au courant que des matières chimiques dangereuses étaient entreposées au port mais se sont rejeté mutuellement la responsabilité du dossier.
Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a de son côté annoncé mercredi reporter la lecture du jugement, prévue pour vendredi, dans le procès de quatre hommes accusés d’avoir participé en 2005 à l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, « par respect pour les innombrables victimes » des explosions.
Avec AFP