La journaliste Shireen Abu Akleh, l’une des plus connues de la chaîne arabe Al Jazeera, a été touchée par une balle dans la tête ce mercredi 11 mai au matin, alors qu’elle couvrait des affrontements dans le secteur de Jénine, en Cisjordanie occupée.
Il est 6h13 ce mercredi matin lorsque Shireen Abu Akleh envoie un courriel à sa rédaction pour l’informer qu’elle se rend dans le camp de Jénine où l’armée israélienne est entrée et encercle une maison. Ses collègues l’attendent pour un direct 7h, mais elle ne répond pas. Ils apprendront ensuite sa mort.
Selon des témoins sur place, enregistrés par Al Jazeera, des snipers israéliens étaient présents sur les toits de toutes les maisons alentour. La journaliste est sortie de la voiture, portant son casque et son gilet pare-balles, avec l’inscription « presse », mais elle a reçu une balle à la tête, à un endroit qui n’est pas couvert par le casque. Vraisemblablement par un des snipers.
Le journaliste Ali al-Samoudi, qui travaille pour le quotidien Al Quds à Jérusalem, a également été blessé lors de ces heurts. « Nous étions en chemin pour couvrir l’opération de l’armée lorsqu’ils ont ouvert le feu sur nous […] Une balle m’a atteint. La seconde balle a touché Shireen », a-t-il déclaré. Il se trouve désormais dans un état stable.
La chaîne Al Jazeera a pointé dans un communiqué la responsabilité israélienne : « Dans ce qui est d’évidence un meurtre, en violation des lois et des normes internationales, les forces d’occupation israéliennes ont assassiné de sang-froid la correspondante d’Al Jazeera en Palestine, Shireen Abu Akleh, prise pour cible de tirs à balles réelles tôt ce matin ». « Ce terrorisme d’État israélien doit cesser, le soutien inconditionnel à Israël doit cesser », a réclamé la porte-parole du ministère des Affaires étrangères et vice-ministre, Lolwah al-Khater, dans un message sur Twitter.
Israël se défend
Dans un communiqué, l’armée israélienne précise « qu’elle étudie la possibilité que les journalistes aient été touchés par des tirs palestiniens ». « Durant ces activités de contre-terrorisme dans le camp palestinien de Jénine, des dizaines d’hommes armés palestiniens ont ouvert le feu et lancé des objets explosifs en direction des forces israéliennes, menaçant leur vie. Les soldats ont répliqué. Des personnes ont été atteintes », indique-t-elle.
Pour le Premier ministre israélien Naftali Bennett le blâme jeté sur Israël est sans fondement. Selon les données que le pays « possède à ce stade », ajoute-t-il, « il est très probable » que des Palestiniens armés soient responsables de la mort malheureuse de la journaliste d’Al Jazeera. Les Israéliens fondent leur position sur un clip vidéo qui circule sur les réseaux sociaux en ce moment, rapporte notre correspondant à Jérusalem, Michel Paul.
On y voit, après des échanges de tirs, des Palestiniens qui crient et proclament avoir abattu un soldat israélien. Il gît « au sol », ajoutent-ils. Or, selon les Israéliens, aucun soldat n’a été tué lors des affrontements de ce matin. Les responsables militaires israéliens réitèrent leur proposition de mener une enquête conjointe avec les autorités palestiniennes. Une autopsie du corps de la journaliste et un examen balistique permettrait de « déterminer à coup sûr les responsabilités », affirment-ils, tout en regrettant que l’autorité palestinienne refuse cette proposition.
Les États-Unis, la France et l’Union européenne ont appelé à une enquête « transparente » et « indépendante » pour clarifier au plus vite les circonstances du décès de Shirin Abu Akleh.
Un choc
Cette mort a provoqué un choc chez les Palestiniens, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Shirin Abu Akleh était une journaliste extrêmement connue, indique notre correspondante régionale, Alice Froussard. Sur Twitter, certains jeunes confient qu’elle était leur idole, l’un des premiers visages qu’ils ont vus à la télévision pendant les intifadas, et qu’ils ont grandi avec les informations qu’elle délivrait.
Palestinienne, chrétienne et âgée d’une cinquantaine d’années, Shireen Abu Akleh avait travaillé à « La Voix de la Palestine », RMC Moyen-Orient (aujourd’hui Monte Carlo Doualiya, filiale du groupe FMM), avant de rejoindre la chaîne Al Jazeera, où elle s’est fait connaître à travers le Moyen-Orient pour ses reportages sur le conflit israélo-palestinien.
Le décès de Shireen Abu Akleh intervient près d’un an jour pour jour après la destruction de la tour Jalaa, où étaient situés les bureaux de la chaîne qatarienne dans la bande de Gaza, lors d’une frappe aérienne israélienne en pleine guerre entre le mouvement islamiste palestinien Hamas et l’État hébreu, écrit l’AFP. Cette guerre de onze jours avait fait 260 morts côté palestinien, parmi lesquels de nombreux combattants et des enfants, et 14 décès en Israël, incluant un soldat et deux mineurs.
RFI