Le projet Simandou, estimé à 15 milliards de dollars, est l’une des plus grandes initiatives minières jamais entreprises en Afrique de l’Ouest. Il vise à exploiter le riche gisement de minerai de fer dans la région du même nom, avec une production annuelle attendue de 100 millions de tonnes de fer, soit environ 7 % de la production mondiale. Toutefois, la gestion de ce projet par le gouvernement de transition en Guinée soulève de nombreuses préoccupations, notamment en ce qui concerne la transparence, le contrôle des finances, et les risques de corruption.
Manque de Transparence dans la Convention
La convention signée entre le gouvernement guinéen et les entreprises partenaires, y compris les multinationales Rio Tinto et Chinalco, reste à ce jour non publiée, ce qui va à l’encontre des principes de transparence établis par l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), dont la Guinée est signataire. L’ITIE exige la divulgation complète des contrats dans le secteur des ressources naturelles, et en 2022, la Guinée était classée parmi les pays présentant des faiblesses en matière de transparence dans ce domaine.
Dans des cas comparables, comme le projet minier d’Oyu Tolgoi en Mongolie, les conventions minières publiées ont permis aux citoyens et aux experts d’évaluer l’impact économique et social des projets. En ne publiant pas la convention, la Guinée empêche une évaluation indépendante des termes de l’accord et de son adéquation avec les intérêts nationaux.
Risques de Corruption et Absence de Mécanismes de Contrôle des Finances
La Guinée se classe au 150e rang sur 180 pays dans l’Indice de Perception de la Corruption 2023 de Transparency International, ce qui reflète la persistance de pratiques de corruption, particulièrement dans le secteur minier. Sans mécanismes de contrôle rigoureux, le projet Simandou risque de générer des revenus qui ne bénéficient pas à l’ensemble du pays.
Le secteur minier représente environ 35 % du PIB guinéen et 80 % des exportations. Cependant, les revenus tirés de l’exploitation minière sont souvent détournés par des élites locales, laissant peu de ressources pour le développement du pays. En République Démocratique du Congo, par exemple, des projets similaires ont montré qu’en l’absence de transparence, les bénéfices de l’exploitation minière ont été absorbés par des réseaux de corruption, privant l’État de millions de dollars en recettes fiscales.
Faible Consultation des Communautés Locales
Les communautés locales de la région de Simandou, comme Beyla et N’Zérékoré, sont fortement impactées par les projets miniers, notamment en termes de déplacement de population, de pollution de l’eau et de déforestation. En Guinée, où environ 55 % de la population rurale vit en dessous du seuil de pauvreté, le manque de consultation et de compensation pour les terres expropriées pourrait aggraver la précarité dans ces zones.
En Afrique du Sud, des projets miniers comme ceux de Marikana ont montré l’importance des consultations locales. Un manque d’inclusion peut entraîner des tensions sociales, voire des conflits. Le gouvernement guinéen pourrait apprendre de ces expériences en mettant en place des consultations régulières pour assurer que les besoins des communautés locales sont respectés.
Faiblesse des Mécanismes de Supervision et de Reddition de Comptes
La Guinée ne dispose pas d’un cadre indépendant de suivi et d’audit pour superviser les revenus miniers, ce qui est particulièrement risqué pour un projet de cette ampleur. Des audits réguliers par des organismes indépendants, comme la Banque Mondiale ou le FMI, pourraient permettre de contrôler l’utilisation des fonds et de s’assurer que les revenus issus du projet Simandou sont investis dans des secteurs prioritaires (éducation, santé, infrastructures).
Un exemple à suivre est celui du Botswana, dont le secteur minier est supervisé par un organisme de régulation national qui surveille les recettes minières et assure leur redistribution pour le développement. En conséquence, le Botswana est aujourd’hui un des rares pays africains à avoir su transformer ses ressources naturelles en moteurs de développement.
Gestion des Revenus et Absence de Plan de Réinvestissement pour le Développement
Selon une étude de la Banque Mondiale, pour maximiser l’impact des revenus miniers sur le développement national, il est recommandé de créer un fonds souverain. Ce type de fonds permet de gérer les revenus de manière durable, assurant un investissement à long terme pour l’éducation, la santé et les infrastructures. La Guinée pourrait envisager cette option pour le projet Simandou, comme l’ont fait la Norvège et l’Arabie Saoudite avec leurs fonds souverains respectifs.
À l’heure actuelle, la Guinée ne dispose pas de mécanismes clairs pour redistribuer les revenus du projet Simandou. Or, sans un plan de gestion précis, le risque est que ces ressources soient absorbées par la dette publique ou détournées à des fins personnelles, compromettant ainsi le développement socio-économique du pays.
La réussite du projet Simandou dépendra de la capacité du gouvernement guinéen à renforcer la transparence et à lutter contre la corruption dans la gestion des ressources minières. La publication de la convention, l’institution d’un fonds souverain, et l’instauration de mécanismes de suivi indépendants sont essentiels pour garantir que ce projet devienne un véritable moteur de développement pour la Guinée et non un simple puits de revenus facilement détournés.
Mamadou Barry FFSG