« Le nom grandit quand l’homme tombe », a écrit Victor Hugo. C’est tellement vrai en Guinée, où la mort parvient toujours à réhabiliter chacun dans une avalanche d’éloges et d’hommages après une vie émaillée d’ennuis, d’épreuves, de souffrances, de mauvais procès et d’incidents.
La mort vient de rappeler à chacun et à tous El Hadj Biro Diallo, décédé ce samedi 8 février 2025 dans sa ville natale de Mamou, où il s’était retranché au milieu des siens après de bons et loyaux services rendus à la nation et à l’issue d’un véritable parcours du combattant. Celui qui a connu une longévité exceptionnelle (105 ans) dans la course contre la mort demeurera pour toujours dans le récit national, avec des chapitres de sa vie, autant de pages d’histoire. L’écrivain et historien écossais Thomas Carlyle ne disait-Il pas que « l’histoire du monde n’est que la biographie des grands hommes »?
El Hadj Biro a choisi de finir en héros anonyme, coupé de l’actualité et des projecteurs. Il n’a pas eu peur de la retraite, ni ne s’est efforcé, contrairement à tant d’autres de son âge et de sa génération, à rester au-devant de la scène, coûte que coûte. En homme accompli, d’honneur et de devoir, il a su réaliser ce qui paraît impossible à beaucoup encore aujourd’hui : partir quand il le faut, lorsqu’on a accompli sa mission ou atteint ses limites. Si « trop tôt » laisse un arrière-goût de dépit et pourrait ressembler à un acte manqué, « trop tard » est le cimetière de toutes les illusions perdues et la source de tous les malheurs.
Le regretté homme, sage et lucide, a été capable de céder la place à d’autres, alors qu’on lui prédisait encore un avenir, pour son courage à défendre et assumer ses convictions, en raison de sa stature enviable, de la confiance et de l’estime d’une opinion majoritairement favorable. El Hadj Biro ne s’est pas laissé retenir, ni convaincre de servir jusqu’à l’usure. Comme Nelson Mandela, il a renoncé à un moment où il était encore aimé et respecté, la disgrâce n’étant pas encore arrivée.
L’homme brille par son silence, se distingue par sa résilience.
Le « vieux Biro », comme on se plaisait à l’appeler ces dernières années, a eu l’humilité des êtres exceptionnels, surtout dans ses ultimes instants, et ne s’est pas départi du silence assourdissant et de la réserve pudique des hommes d’État. S’il avait des frustrations et des blessures intimes, personne n’en saura jamais rien par lui-même. Dans sa retraite paisible, d’une pleine liberté recouvrée et d’une dignité chèrement acquise, il n’a pas sollicité des honneurs ni revendiqué la reconnaissance que l’on réserve ailleurs et habituellement aux légendes vivantes. Il connaissait l’amnésie de son pays, consacrée par la volatilité du temps, et celle aussi de ses compatriotes, qui n’aiment guère parier sur l’avenir et s’empressent toujours d’oublier le passé, ce fantôme, prompt à donner mauvaise conscience, tel un miroir, doué aussi pour renvoyer à chacun son image pas toujours flatteuse.
Et, comme on ne peut effacer la mémoire ni réécrire à sa guise l’histoire, en remontant le temps, le journaliste que je fus se souvient qu’El Hadj Biro Diallo, Président de l’Assemblée nationale, avait déconcerté plus d’un et provoqué un séisme politique, en affirmant, haut et fort, sans la langue de bois de nos élites timorées ni les faux-fuyants de ses concitoyens, obséquieux et accommodants : « En cas de vacance de pouvoir, j’assumerai pleinement mes responsabilités », avait confié le vieil homme, en répondant à une question à propos du sujet tabou de la succession dans nos pays. Il ne reviendra pas sur ses propos ni ne s’excusera auprès du Général Lansana Conté, alors chef de l’État, de lui avoir rappelé qu’il n’est pas immortel ni éternel. Une témérité dont le coût fut élevé, mais assumée jusqu’au bout. Combien sommes-nous, aujourd’hui, à avoir le courage de nos convictions profondes ? Qui ose encore dire non au maître du moment, à plus forte raison, le contrarier dans ses ambitions, en bravant sa suprématie ?
À un moment où la patience a déserté le pays et où la persévérance, l’esprit de sacrifice et d’engagement ont pris un long congé, l’idéal est piétiné, les individus écrasent la patrie. La disparition d’El Hadj Biro Diallo suscite un sentiment de regret et de désarroi chez tous ceux qui vouent respect et admiration aux hommes pétris de courage et animés de convictions. Ces derniers vivent aussi dans la nostalgie des valeurs perdues qui font la grandeur de l’humanité et placent certains au-dessus des autres.
El Hadj Biro Diallo peut reposer en paix, après une vie longue et remplie au service de sa nation, caractérisée par un sens très élevé de la responsabilité et une folle détermination à surmonter les obstacles et vaincre les adversités. Certains vivent debout, refusent de se coucher avant de rejoindre leur dernière demeure, tandis que d’autres se laissent enterrer vivants. Chacun est libre de choisir son destin.
TIBOU KAMARA