S'Informer à la minute près
jeune solidaire
Bann23

GOLO GUÈMÈ : La dégradation des mœurs à l’ère des ministres danseurs (Par Ousmane Boh Kaba)

L’une des valeurs fondamentales qui caractérisent notre société est son respect inébranlable pour ses normes et traditions ancestrales, lesquelles placent la dignité et l’honneur au cœur du vivre-ensemble. Depuis des générations, nos coutumes enseignent que la grandeur d’un homme se mesure à son respect des convenances, à sa retenue, à sa parole donnée et à sa capacité à incarner des principes nobles. Pourtant, ces dernières années, notre pays semble s’enfoncer dans un abîme où la dépravation des mœurs devient presque une norme, au point d’être exhibée publiquement par ceux qui devraient être les gardiens de l’intégrité, de la vertu et de la responsabilité. Le récent « incident » — oui, j’ose croire que c’en est un — impliquant des ministres de la République dansant sur la chanson Golo Guèmè de l’artiste Singleton, illustre de façon alarmante cette dérive.

Le titre de cette chanson, Golo Guèmè, qui se traduit par « couilles » en Soussou, incarne une provocation pure et simple. Pourtant, le Soussou est l’une de nos langues nationales les plus riches et les plus expressives. Il est donc regrettable que le célèbre Singleton n’ait rien trouvé de mieux que de réduire cette richesse linguistique à une simple vulgarité. À sa sortie, l’ouvrage a suscité une vive polémique et a été, à juste titre, désapprouvé par les autorités. L’utilisation d’un terme vulgaire et l’insulte qu’elle véhicule ne pouvaient, dans un premier temps, que soulever des questions légitimes sur l’impact d’une telle œuvre sur la société, en particulier chez les jeunes générations qui sont très influencées par la musique.

Mais voilà, depuis que Singleton a pris publiquement position en faveur de la candidature du Général Mamadi Doumbouya à la prochaine élection présidentielle, le vent a tourné. Ce même morceau, qui avait été interdit, est maintenant accepté et même célébré. Certains ministres, figures emblématiques du gouvernement, ont été filmés en train de danser sur cette chanson, ignorant ou feignant d’ignorer l’impact moral que de telles actions peuvent avoir sur la société. Un tel soutien à une œuvre de cette nature, loin de défendre une liberté artistique, semble plutôt valider une banalisation des comportements dégradants. Comment expliquer ce retournement de situation, si ce n’est par un alignement dangereux entre certains artistes et des figures politiques qui semblent plus intéressées par l’appui populaire que par la préservation des valeurs fondamentales ?

Cette danse des ministres sur Golo Guèmè ne peut être interprétée que comme une symptomatique dégradation de nos mœurs. Un pays qui permet à ses dirigeants de se laisser emporter par une telle vulgarité en public s’expose à une normalisation de la décadence. Si nos autorités, censées être les garantes des valeurs qui renforcent la société, deviennent les champions de la dépravation. Qu’en serait-il des jeunes qui, face à ce spectacle, risquent de voir dans ce comportement un modèle à suivre ?

L’impact de cette évolution va bien au-delà de la simple chanson. Elle révèle un manque de vision et une crise de leadership. Un peuple qui laisse ses dirigeants se prêter à de telles scènes sans réaction est un peuple qui perd lentement ses repères. Ce n’est pas seulement la chanson Golo Guèmè qui est en jeu, mais bien le respect de la dignité humaine et des principes qui doivent gouverner toute société.

« C’est ce souci de dignité, cet impérieux besoin de liberté qui devait susciter aux heures sombres de la France les actes les plus nobles, les sacrifices les plus grands, et les [beaux traits] de courage. La liberté c’est le privilège de tout homme, le droit naturel de toute société et de tout peuple, la base sur laquelle les États africains s’associeront à la République Française, et à d’autres États pour le développement de leurs valeurs et leurs richesses communes. »

 

Ces mots du Président Ahmed Sékou Touré, adressés au Général de Gaulle en 1958, résonnent avec une force particulière aujourd’hui. La liberté et la dignité ne sont pas des concepts abstraits, encore moins des marchandises négociables. Elles sont le fondement même de la souveraineté et de l’honneur d’un peuple. Or, que reste-t-il de cette dignité lorsque ceux qui dirigent la nation troquent la noblesse de leur fonction contre des pas de danse sur des chansons obscènes ?

Le plus grand danger réside ici dans la façon dont cette situation est perçue par la population. Au lieu de prendre position contre de tels actes de dépravation, certains semblent trouver là un prétexte pour faire le jeu des puissants. Ce phénomène de banalisation de l’imbécillité pourrait bien devenir la norme si une réaction collective ne se met pas en place rapidement.

Une société sans dignité est comme un fleuve sans source : vouée à se tarir et à disparaître dans l’oubli. Il est urgent que le pays d’Ahmed Sékou Touré fasse face à cette dérive morale, et cela commence par un questionnement profond sur la direction prise par notre nation, par notre jeunesse. Les responsables politiques, en particulier les ministres et autres figures publiques, doivent se rappeler que leur rôle n’est pas de brader les valeurs sociales et culturelles, mais de les protéger. La dérision et l’insulte ne peuvent être des instruments de gouvernance.

À une époque pas si lointaine, des artistes comme Sory Kandia Kouyaté utilisaient leur voix pour élever les consciences et porter haut les idéaux de la nation. Il ne s’agit pas d’interdire aux artistes de s’engager politiquement, mais leur engagement ne doit pas se faire au détriment de la dignité et des valeurs fondamentales. Sory Kandia Kouyaté, par son art, a su représenter la Guinée aux Nations unies, unir des peuples divisés et incarner une révolution culturelle empreinte de respect et de grandeur. Aujourd’hui, l’influence de certains artistes semble aller dans la direction opposée : celle de la complaisance et de la dérive morale.

Il est temps que notre beau pays retrouve ses repères et son honneur, loin des débauches et des symboles de dégradation. L’intégrité d’une nation commence par celle de ses dirigeants. Alors, si nos dirigeants ne montrent plus l’exemple, à qui reviendra la lourde tâche de préserver la dignité de notre peuple ? Le Président Mamadi Doumbouya, qui se réclame ouvertement de Sékou Touré et prône la refondation et la rectification, peut-il fermer les yeux sur de tels écarts sans trahir l’héritage qu’il revendique ?

Ousmane Boh KABA