D’un côté, la Banque centrale de Guinée, qui réclame à son partenaire, EMR, la restitution de 4 tonnes d’or. De l’autre, EMR, qui prétend garder ce butin comme garantie de créances impayées et dénonce des opérations douteuses. Au centre, un gouverneur dans la tourmente.
Que sont devenues les 4 tonnes d’or disparues des coffres de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) ? Cette question brûlante, soulevée par un audit mené par le cabinet KPMG, ébranle l’institution financière. Les enquêteurs de la gendarmerie nationale ont interrogé, ces derniers jours et à plusieurs reprises, Karamo Kaba, le gouverneur de la BCRG. Au début de janvier, il lui a même été interdit de quitter le territoire national.
L’affaire commence le 23 février 2023, quand la Banque centrale signe avec Emirates Minting and Refinery (EMR) un contrat de deux ans, portant sur le stockage et le raffinage de l’or guinéen. Censé marquer une nouvelle ère dans la gestion des ressources aurifères du pays, ce partenariat stratégique s’ouvre sous les meilleurs auspices. Les premières livraisons respectent les termes de l’accord. Mais, près de deux ans plus tard, l’alliance menace de s’effondrer.
La BCRG accuse EMR de détenir illégalement les 4 tonnes d’or en question. De son côté, EMR affirme que ces stocks constituent une garantie contre plusieurs millions de dollars d’impayés de la Banque centrale. Cette querelle, désormais au cœur des préoccupations du président guinéen, le général Mamadi Doumbouya, menace d’éclabousser une partie de l’appareil étatique.
Un intermédiaire nommé Tidiane Koita
Comment en est-on arrivé là ? En février 2024, soit un an après la signature du partenariat, Karamo Kaba, le gouverneur, impose à EMR un intermédiaire : Tidiane Koita, président de l’Union nationale des orpailleurs de Guinée (UNOG). Connu dans le secteur aurifère, parfois critiqué pour l’opacité qui entoure ses affaires, Koita devient un acteur clé du deal.
À l’origine, et conformément aux termes du contrat, les livraisons étaient confiées à une entreprise de sécurité agréée. Mais, avec l’arrivée de Koita, les méthodes changent. Ce dernier commence à acheminer l’or en son nom propre. Plus troublant encore, une opération inhabituelle est autorisée par la Banque centrale : Koita achète l’or pour le revendre immédiatement à EMR, tout en exigeant que le paiement soit fait directement à la BCRG. Un document signé par le gouverneur, dépourvu des tampons officiels habituels, suggère une manœuvre discrète pour contourner les procédures établies.
EMR commence à signaler de graves irrégularités : absence de documents KYC [« Know Your Customer », protocole bancaire de vérification de l’identité des clients d’une entreprise], certificats d’origine manquants et incertitudes sur les quantités réellement livrées.
Les doutes d’EMR
Parallèlement, Koita semble profiter des deux parties, facturant ses services à la fois à la BCRG et à EMR. Face à ces dysfonctionnements, EMR demande à inspecter les sites d’extraction. Mais, lors de leur arrivée en Guinée, ses représentants se heurtent au refus catégorique de la BCRG d’ouvrir le dialogue.
Le 7 décembre 2024, la BCRG accuse publiquement EMR de détenir illégalement son or. Un groupe de négociateurs, mené par Ibrahima Kassus Dioubate, un homme d’affaires guinéen, et par Ahmed Al Amry, qui se prétend le représentant des autorités émiraties, engage des discussions avec EMR. Un accord informel est évoqué, mais EMR doute de la légitimité d’Al Amry et se méfie du flou qui entoure cette tentative de médiation.
Depuis, chacun campe sur ses positions. Ce nouveau scandale (en 2023, un autre litige opposant les mêmes protagonistes avait été réglé à l’amiable) lève en partie le voile sur les méthodes de gestion de l’or guinéen. L’enquête en cours, qui semble avoir nettement progressé ces derniers temps compte tenu des enjeux économiques – mais aussi politiques – de l’affaire, devrait permettre rapidement d’y voir plus clair. D’autant que le procureur de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief) s’est saisi du dossier…
Salifou Bangoura, Pour Mondemedia.info