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GUINEE- Réconciliation nationale: Voici mémorandum de la CONAREG

Introduction

Le 5 Septembre 2021, le peuple de Guinée a vécu une journée d’incertitudes caractérisée par un affrontement armé entre les unités des forces spéciales et la garde présidentielle qui a débouché à l’arrestation de M. Alpha Condé au pouvoir depuis 2011. Si beaucoup d’observateurs prévoyaient des lendemains peu promoteurs pour les guinéens à cause de la crise sociopolitique et économique dans laquelle la Guinée était plongée depuis le changement de la constitution du 7 Mai 2010, d’autres expliquent cela par le non traitement du passé douloureux qui a été à la base de la division entre les composantes ethniques du pays, la corruption, l’instrumentalisation de la justice, la politisation de l’administration, les détournements des deniers publics, la manipulation des forces de défense et de sécurité. D’ailleurs, dans son discours de prise du pouvoir, le Président du Comité National pour le Rassemblement et le Développement (CNRD) a mis un accent particulier sur ces maux pour justifier la prise du pouvoir par l’armée.
Tout en prenant acte de cette situation de fait, la Coalition Nationale d’Appui à la Réconciliation en Guinée-CONAREG sollicite auprès des nouvelles autorités du pays le parachèvement du processus de réconciliation nationale afin de panser les plaies du passé, guérir les blessures traumatiques, et replacer la justice au cœur de la gouvernance.

Présentation CONAREG
La coalition nationale d’Appui à la réconciliation en Guinée (CONAREG) est un consortium d’organisation de défenses des droits humains, de différents groupes de victimes politiques et des journalistes engagés à faire de la réconciliation nationale une réalité en Guinée, ces actions sont exécutées par les OSC guinéennes notamment AVIPA, COJEDEV, OGDH, AVCB, AVR et HPFE avec le soutien technique et financier de l’Initiative mondiale pour la justice, la vérité et la réconciliation (GIJTR), et l’African Transitional Justice Legacy Fund (ATJLF). Dans cette optique, la société civile, les médias, les leaders religieux et les autorités politiques guinéennes sont mobilisées autour des mécanismes de justice transitionnelle afin de permettre à la Guinée de tourner les pages douloureuses de son histoire à travers un processus vérité-justice- réconciliation.
Durant des voyages d’études effectués en 2018 et 2019 en Afrique du Sud et au Rwanda, les membres de la CONAREG ont appris des commissions misent en place dans ces pays en matière de travaux de vérité et de mémoire. Depuis leur retour, ceux-ci ont fourni des efforts pour encourager le Gouvernement guinéen à poursuivre le processus de réconciliation nationale dont la finalisation permettrait de contribuer à l’édification d’un nouveau système de Gouvernance axé sur les vertus de la démocratie, le respect des libertés publiques, la justice et le progrès social. Pour ce faire, les membres de la CONAREG ont, dans un premier temps procéder à la formalisation juridique de la Coalition Nationale d’Appui à la Réconciliation en Guinée- CONAREG dont les deux objectifs fondamentaux sont : le plaidoyer pour l’adoption et la promulgation du projet de loi portant sur la Commission Vérité-Justice-Réconciliation et la mise en place de celle-ci.
Fort malheureusement, au même moment la Guinée traversait une situation sociopolitique marquée par des tensions liées au processus politique autour de l’organisation des élections législatives et d’un éventuel référendum à l’effet de changer la Constitution pour permettre au Président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Nos organisations, en tant que légalistes et attachés aux principes républicains et démocratiques se sont rangées du côté des défenseurs de la constitution à travers une prise de position officielle et publique. A côté de ce problème majeur lié à la Constitution, nos organisations se sont aussi positionnées contre le Gouvernement guinéen qui a pris un acte à travers le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation interdisant toutes formes de manifestations sur la voie publique. Pour marquer

notre désapprobation contre ce musellement de la liberté de manifestation, un recours pour son annulation a été introduit auprès de la Cour Suprême qui malheureusement n’a pas eu suite favorable.

Contexte

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L’histoire sociopolitique de la Guinée depuis son accession à l’indépendance en 1958, a été marquée par de graves violations des droits de l’Homme qui ont fortement porté atteinte à l’unité et à la cohésion nationales, conditions sine qua non pour la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et de toute œuvre de développement. Si on peut se réjouir que la Guinée n’ait pas connu de guerre civile, le pays a cependant, subi de nombreuses et graves violations des droits de l’homme qui sont toutes le fait de l’Etat contre les populations. Au nombre de ces violations, nous citerons entre autres :

Le complot des enseignants en 1961 ;
Le complot « Petit Touré » en 1965 ;
L’interdiction du commerce privé en 1975 (connu sous le nom de Cheytane 1975) ;
Le Complot Peuhl ;
Les purges ethniques contre les officiers malinkés en 1985 ;
La Répression de Janvier-Février 2007 ;
Les Massacres du Stade de Conakry le 28 Septembre 2009 ;
Les Tueries pendant les manifestations sociopolitiques dans les quartiers de l’axe Hamdallaye-Bambeto-Coza ;
Les Massacres de Womey et de Zowota

 

Accession de Alpha Condé au Pouvoir
Arrivé au Pouvoir au lendemain d’une élection chaotique qui a réveillé les vieux démons de la division ethnique, Alpha Condé était perçu comme celui qui allait réconcilier les guinéens entre eux afin de construire une nation. Lors de son investiture le 21 Décembre 2010, il promettra d’être le Mandela de la Guinée, c’est-à-dire celui qui va réconcilier les guinéens. C’est dans ce cadre qu’il instituera une Commission Provisoire de Réflexion pour la Réconciliation Nationale (CPRN).

Héritant d’un pays au bilan économique catastrophique, Alpha Condé engagera des reformes dans le domaine de la Justice à travers la lutte contre l’impunité. Ces réformes ont abouti à la révision du code pénal, de procédure pénale, civil et de justice militaire en 2016. Cependant, à l’image des régimes qu’il a pourfendus durant tout son parcours d’opposant politique, Alpha Condé usera des mêmes méthodes pour museler ses opposants.

Des axes prioritaires du processus de réconciliation et du rôle des acteurs

Les consultations nationales sur les mécanismes de gestion durable des crises sociopolitiques passées en Guinée ont débouché sur une panoplie de propositions à entreprendre en vue de réaliser la réconciliation tant souhaitée. La mission de la CPRN a été, au-delà d’aller à l’écoute des citoyennes et citoyens sur les voies à suivre, d’aider les décideurs nationaux à décider des démarches idoines à entreprendre pour apporter des changements dans les domaines étudiés.

Il est apparu lors des consultations nationales, voire au cours des travaux préliminaires de sensibilisation et d’information des populations, initiés par la CPRN que les populations, à commencer par les « associations de victimes », sont pressées d’aller à la réconciliation. Pour ces groupes, la réconciliation s’entend des mécanismes concrets que l’Etat devrait initier pour faire face au lourd passé de violations des droits de l’homme dans le pays. Les citoyens et citoyennes comprennent mal qu’on ait été obligé de passer par des consultations alors que la CPRN mise en place depuis 2011 n’a pas fourni de « résultats tangibles » sur la réconciliation. De telles observations avaient aussi été formulées lors des discussions qui ont été organisées, y compris de la part de personnes relativement bien placées pour comprendre les contraintes d’un tel processus.

Au regard de ce précédent, l’Etat ne serait pas excusable de ne pas prendre des dispositions urgentes pour traduire dans les faits le processus de réconciliation nationale, dans sa phase opérationnelle. Sur la base des enjeux, la mise en œuvre du processus pourrait suivre les étapes clés suivantes :

Phase préparatoire : Mise en place de la commission vérité et réconciliation;
Composante 1 : Élaboration d’un Plan d’action pour la réparation de violations graves (élaboration d’une loi sur l’identification des victimes et modalités de réparation) ;
Composante 2 : Education citoyenne sur le processus de réconciliation nationale et renforcement des capacités des acteurs sur la justice transitionnelle ;
Composante 3 : Identification et audition des victimes (élaboration et adoption d’une loi sur la protection des témoins et victimes des violations des droits de l’homme, élaboration d’une liste définitive des victimes).
Chaque composante proposée comporte des activités précises, suivant une approche adaptée et sera sanctionnée par des résultats dont la combinaison permettra d’atteindre le but général de l’opération.

La présentation ci-dessous n’a pas une logique linéaire.

Mise en place de l’organisme de réconciliation
La démarche que nous proposons est la suivante :
Créer une Commission par voie législative, sur la base d’un projet préparé par le Gouvernement ;
Identifier les membres de la Commission parmi des Guinéennes et Guinéens, reconnus pour leur compétence et leur intégrité et jouissant d’une bonne réputation : un groupe de 5 à 9 personnes ;
Elaborer la feuille de route de l’organisme pour la mise en œuvre des investigations et la période à couvrir ;
Adopter les règles et procédures pour la conduite des auditions ;
Proposer un avant-projet de loi sur l’identification des victimes ;
Proposer un avant-projet de loi sur la protection des témoins et victimes des violations des droits humains ;
Examiner les actes de violences graves, les conditions de leur occurrence et les acteurs impliqués.

Plan d’action pour les réparations
Cet élément est une composante essentielle du rapport que dressera la Commission sur sa mission. Nous mettons un accent dessus pour relever des éléments spécifiques qui doivent y figurer. En effet, il appartient à la Commission ayant dans son mandat la recherche de la vérité, de déterminer la nature et le quantum des réparations à appliquer, et l’organe qui sera chargé de gérer les réparations. C’est également dans ses prérogatives de préciser les types de violations qui seront éligibles aux réparations, et les démarches appropriées pour accéder aux réparations. Toutes ces modalités doivent être contenues dans un avant-projet de loi sur les modalités de réparations.

Conduite des investigations sur les violations
C’est l’étape la plus importante et la principale activité de la Commission. Elle consiste à:
Audition de toutes les victimes des violences;
Enquêtes approfondies sur les faits répertoriés lors des auditions ;
Confronter les victimes identifiées avec les présumés auteurs lors des audiences publiques ou privées ;
Prendre un soin particulier pour s’assurer que ces processus sont accessibles aux femmes et aux filles et tiennent compte des formes particulières de violence basée sur le genre qu’elles ont endurées ;
Dresser un rapport circonstancié sur tous les cas traités ;
Élaborer les préconisations pour le traitement des cas de violation constatés ; et
Élaborer un rapport final.

Éducation citoyenne et marketing social sur la réconciliation
La réconciliation nationale se doit de devenir un produit de consommation de masse pour produire un impact dans la conscience populaire. La CONAREG à travers l’appui technique et financier de l’ATJLF et de la GIJTR s’est inscrite dans cette lancée et a installé des antennes régionales dans les quatre régions de la Guinée. Des consultations communautaires et des formations en matière de justice transitionnelle et de prévention de conflit sont fournis aux communautés notamment les leaders religieux, les éducateurs, les jeunes, les groupes de victimes mais aussi les élus locaux afin qu’ils comprennent davantage la nécessité de faire de la réconciliation nationale une réalité.
Au regard de l’étendue temporelle des événements et le caractère massif des abus signalés, il est important que la Commission adopte une méthode de travail qui permettra de couvrir l’ensemble des domaines, sans pour autant que le processus traîne en longueur. Nous proposons ci-dessous un planning opérationnel qui peut guider dans ce sens.

La phase opérationnelle du processus requiert une nouvelle approche stratégique pour permettre au processus de réconciliation en République de Guinée de réussir. Dans cette optique, et par-delà la mission intrinsèque de la Commission, les acteurs ci-après doivent voir leur place dans le processus être précisée :
Le Gouvernement,
Les partenaires techniques et financiers de la Guinée
Les organisations de la société civile

Entité
Rôle

Gouvernement
Décision politique de création de la Commission Suivi politique du processus;
Accompagnement technique et logistique;
Appui financier;
Mise en place d’un mécanisme de protection des victimes, témoins et des présumés auteurs à travers une loi.
Faire voter une loi sur l’identification des victimes et les modalités de réparation;

Partenaires techniques et financiers:
Appui technique
Appui financier

CONAREG et autres OSC
Veille citoyenne
Suivi du processus
Appui-conseil aux groupes spécifiques (associations des victimes)
Information et sensibilisation de la population.

Les Obstacles pour l’aboutissement de la réconciliation nationale en Guinée

Manque de Volonté Politique
Depuis la remise du rapport des consultations nationales à l’ex-président Alpha Condé et la validation de l’avant-projet de loi portant sur la commission vérité-justice-réconciliation, plusieurs plaidoyers ont été organisés par la Coalition Nationale d’Appui à la Réconciliation en Guinée en vue du parachèvement du processus.

Malheureusement, le Gouvernement s’est obstiné à bloquer le projet de loi portant sur la commission vérité-justice-réconciliation dont l’adoption et la promulgation aurait contribué à parachever les travaux de la CPRN. Pourtant, l’ex-président Alpha Condé avait promis après son élection en 2010 de réconcilier les guinéens avec leur histoire mais après 10 ans cette promesse n’est jusque-là pas réalisée.

Complexité du Processus de réconciliation en Guinée
Si la Justice transitionnelle est perçue comme un remède aux atrocités du passé, sa mise en œuvre doit tenir compte des réalités de chaque pays. Dans le cas guinéen, l’histoire sociopolitique a été marquée par des violences qui ont causé beaucoup de victimes parmi lesquelles certaines sont devenues des bourreaux. Cette réalité justifie-t-elle une complexité de la réconciliation en Guinée ? Si on peut comprendre cet avis exprimé par certaines voix, il y a lieu de déconstruire la peur exprimée par certains de se voir rattraper par leurs actes pendant qu’ils étaient au pouvoir.

Aujourd’hui l’Afrique ne manque pas d’exemples, d’autres pays malgré leur passé lourd de violations des droits ont quand même réussi à mettre en marche un processus de Justice Transitionnelle – comme le Rwanda, l’Afrique du Sud, ou la Sierra Leone, bien que le bilan de ces processus soit mitigé, il faut quand même dire que c’est possible d’entamer un tel processus et l’adapter aux réalités guinéennes. Le Mali par exemple, bien qu’étant toujours en situation de conflit, a mis sur pied la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) et a même un projet de loi sur les réparations.

L’absence de confiance
En Guinée, le manque de confiance entre les composantes de la société civile constitue un frein pour l’aboutissement du processus de Justice transitionnelle car il y a même des voix qui estiment que la réconciliation nationale est un faux-débat. Or, il y a une autre frange de la société qui trouve que la réconciliation est plus que nécessaire notamment entre l’Etat et les citoyens afin de bâtir une relation de confiance indispensable à la stabilité et au développement de la Guinée.

5 Recommandations Urgentes

Face à la situation sociopolitique et les défis auxquels la Guinée sera confrontée durant cette période de transition,
Les nouvelles autorités guinéennes notamment le Conseil National pour le Rassemblement et le Développement doivent placer la question de la réconciliation nationale au cœur des priorités. La société civile et les victimes attendent des autorités du Conseil National pour le Rassemblement et le Développement
l’adoption et la mise en place de la CVJR qui devra aussi proposer les critères de choix des victimes, les types de réparation intérimaires mais aussi travailler sur une stratégie de documentation des sites de mémoires pour permettre aux survivants de se recueillir et se souvenir
Que le CNRD soutienne et accompagne la société civile et les journalistes dans la sensibilisation à la nécessité et aux objectifs d’un processus holistique de réconciliation nationale.

 

Fait à Conakry le 25 Septembre 2021

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