RAPPORT DE LA MISSION D’EVALUATION DES BESOINS ELECTORAUX REPUBLIQUE DE GUINEE
Dates de la Mission : 04 au 15 novembre 2024
1Contexte de la mission
Dans une lettre datée du 24 juillet 2024, le Premier ministre, a sollicité le déploiement d’une mission des Nations Unies afin d’évaluer les besoins électoraux du pays et de discuter des modalités d’une éventuelle assistance pour l’organisation d’un référendum constitutionnel et des élections générales. Dans sa réponse en date du 11 septembre 2024, la Secrétaire générale adjointe aux Affaires politiques et à la consolidation de la paix et Coordonnatrice des Nations Unies pour les activités d’assistance électorale a informé le Gouvernement de la République de Guinée de sa volonté de déployer une mission d’évaluation des besoins électoraux à Conakry, pour évaluer notamment : a) l’environnement institutionnel et politique, sécuritaire, juridique et
technique, b) les capacités et les besoins des parties prenantes aux élections et en particulier l’administration électorale, c) la capacité des Nations Unies pour apporter une assistance électorale et coordonner l’assistance électorale internationale, d) les risques, les avantages et la pertinence d’une assistance électorale de l’ONU, et e) le potentiel de violences liées aux
élections.
La NAM a tenu des rencontres avec (i) plusieurs membres du Gouvernement (le Premier
Ministre, le Ministère des affaires étrangères, le Ministre de l’Administration du Territoire et de
la Décentralisation, le Ministre de la justice, le Ministre de la sécurité et de la protection civile, la
Ministre de la promotion féminine, le Ministre de la jeunesse, (ii) les représentants des
institutions, structures et organes nationaux impliqués dans les élections tels que le Conseil
National de Transition (CNT), la Cour Suprême (CS), la Haute Autorité de la Communication
(HAC) ; (iii) les partis politiques ; (iv) les responsables religieux, les représentants des
organisations de la société civile (OSC) impliquées dans le processus électoral, les représentants
des organisations de femmes et des jeunes impliquées dans le processus électoral , les médias, le
Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), etc. La Mission a échangé aussi avec
les représentants du corps diplomatique et certaines entités de l’équipe pays du système des
Nations Unies à savoir le PNUD, ONU Droits de l’homme et le FNUAP.
La NAM s’est déroulée à moins de deux mois1 de la fin de la transition politique, telle que
négociée avec la CEDEAO, dans un contexte socio-politique particulier marqué notamment par
un crpoissant manque de confiance des acteurs politiques envers les autorités de la Transition ;
une absence de visibilité autour du processus électoral (i.e. absence de calendrier électoral) ; le
manque d’inclusivité et de transparence autour du processus politique ; l’absence de consensus
sur des questions majeures en lien avec les réformes constitutionnelles, institutionnelles et
électorales ; le retard important accusé dans la mise en œuvre de la feuille de route de la
transition.
A l’issue de sa mission, l’équipe de la NAM a tenu des réunions de débriefing avec le Premier
Ministre, la Coordonnatrice Résidente et l’équipe de pays du Système des Nations Unies, ainsi
qu’avec les partenaires techniques et financiers.
1 La période de 24 mois a été convenue à l’issue du dialogue national et entérinée par des négociations entre le gouvernement de transition et la
CEDEAO pour la fin de la Transition qui doit être marquée par l’organisation d’un referendum et d’élections présidentielle et législatives avant la
fin de 2024.
2Constats de la NAM
1. La NAM a noté un effritement grandissant et inquiétant de la cohésion sociale dans un
contexte croissant de tendances des autorités militaires de la transition perçues comme
autoritaires par les acteurs nationaux rencontrés et de détérioration des conditions de vie des
populations.
2. La NAM a également noté une forte crispation au sein de la classe politique, une
détérioration de l’espace démocratique, ainsi qu’un rétrécissement de l’espace civique et de l’état
de droit. Les étapes clés de la transition politique ne sont toujours pas respectées, tandis que les
droits civils se sont érodés depuis le coup d’État du 5 septembre 2021. Le manque de clarté sur le
calendrier de retour à l’ordre constitutionnel, la participation potentielle des dirigeants de la
transition à une future élection présidentielle, l’absence de consensus autour de la nouvelle
constitution et les défis socio-économiques alimentent le mécontentement social.
3. La NAM a aussi noté la dissolution d’une cinquantaine de partis politiques ainsi que la
suspension et la “mise sous observation” de dizaines d’autres, au nom de la conformité avec les
lois sur les formations politiques, faisant craindre une re-fermeture de l’espace politique que le
coup d’État de 2021 avait momentanément rouvert.
4. La NAM a enfin noté une recrudescence de la répression de la dissidence depuis le début de
la transition. Ceci exacerbe les tensions politiques ainsi qu’un recours excessif et disproportionné
à la force par les forces de sécurité. L’augmentation des violations du droit à la liberté d’opinion
et d’expression, la fermeture des principaux médias audiovisuels privés, la recrudescence des
arrestations et des disparitions forcées des voix dissidentes ont fini par créer un climat de peur
généralisé au sein des acteurs politiques et de la société civile.
Recommandations
5. Nonobstant les risques politiques, financiers, techniques et opérationnels auxquels le
processus de sortie de la transition est confronté, la NAM considère qu’un engagement des
Nations Unies présente de nombreux avantages. Les Nations Unies ont la possibilité de
contribuer à atténuer ces divers risques. La fourniture d’un soutien ciblé pourrait constituer une
contribution significative à la résolution des principaux défis auxquels le pays est actuellement
confronté.
Au regard de ce qui précède, la NAM formule les recommandations suivantes :
Au Système des Nations Unies
6. La NAM recommande une approche en deux volets pour soutenir le processus de transition,
en conformité avec les efforts entrepris par la communauté internationale et notamment les
organisations sous-régionales (CEDEAO, AU, UE, OIF):
– D’une part un engagement politique. Afin de faciliter le dialogue politique entre les
acteurs nationaux et de promouvoir un climat plus favorable à des processus référendaire
et électoral pacifiques et inclusifs la mission recommande que le Représentant Spécial du
Secrétaire Général (RSSG) des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, avec
3l’appui de la Coordinatrice Résidente du Système des Nations Unies en République de
Guinée, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de son mandat de bons
offices pour la facilitation du dialogue politique.
– D’autre part un engagement technique. A cet effet, l’ONU devrait fournir un appui
technique et opérationnel ciblé et limité dans un premier temps, à travers le déploiement
d’experts2 au niveau du RAVEC et aussi auprès du CNT pour appuyer la rédaction des
différentes lois organiques ayant des implications sur le processus électoral. À l’échelle
nationale, l’équipe pays, y compris le PNUD, le bureau du Haut-Commissariat aux Droits
de l’homme et le bureau de la Coordonnatrice Résidente, devrait renforcer l’assistance
technique de l’ONU en mettant également l’accent sur des activités de prévention des
conflits liés aux élections.
7. La NAM recommande que la Coordinatrice Résidente, en collaboration avec le PNUD,
UNOWAS et la division régionale de DPPA-DPO, procède à des évaluations régulières de
l’environnement politique et électoral, ainsi qu’à des revues des progrès et des défis, et partage, à
travers la Division de l’Assistance Electorale, ces informations avec la Secrétaire générale
adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, en sa qualité de point focal pour
l’assistance électorale au sein du système onusien.
8. Pour garantir la cohérence et la coordination des messages et l’approche de la
communauté internationale concernant le soutien au processus de transition, la NAM
recommande également que la Coordonnatrice Résidente maintienne une communication
coordonnée et conjointe avec les principaux ambassadeurs et représentants des organisations
régionales telles que l’UA, la CEDEAO, l’OIF et l’UE en Guinée. Ce mécanisme de coordination
informel assurerait la diffusion d’un message unifié lors des interactions avec les parties
prenantes nationales. De plus, UNOWAS pourrait apporter un soutien supplémentaire à la
Coordonnatrice Résidente en engageant la CEDEAO afin de tirer profit de ses bons offices dans
le pays.
9. La NAM recommande aussi que la Coordonnatrice Résidente coordonne les travaux des
agences, fonds et programmes des Nations Unies dans le pays qui pourraient avoir un impact sur
le processus électoral, afin d’assurer la cohérence et la consistance des actions. Il est conseillé
de promouvoir les synergies entre les projets et programmes des Nations Unies qui soutiennent la
gouvernance démocratique dans le pays, notamment dans les domaines d’appui au CNT, de la
promotion du genre, de la consolidation de la paix, de la cohésion sociale, des droits de l’homme
et de l’état de droit. Cette coordination devrait être facilitée par des mécanismes réguliers de
partage d’informations, de coordination et de coopération, comme le groupe de travail
interagence sur la Guinée (IATF Guinea).
10. La NAM recommande de faire le cas échéant, une réévaluation à mi-parcours, possiblement
après le référendum constitutionnel, pour faire le point sur les progrès réalisés et réajuster les
2 Un expert spécialisé dans le domaine de l’enregistrement des électeurs auprès du RAVEC et un expert juriste
auprès du CNT.
4éventuels domaines supplémentaires de soutien aux élections présidentielle et législatives, ainsi
que pour s’assurer de la mise en œuvre des différentes recommandations.
A la partie nationale
11. La mission suggère au gouvernement de prendre en urgence des mesures de décrispation
et de renforcement de la confiance, notamment en apportant des clarifications sur le calendrier
de la transition et sur les disparitions forcées d’activistes de la société civile ; en levant les
restrictions sur l’espace civique et politique, y compris les médias, en promouvant d’autres
mesures susceptibles de créer la confiance telles que le jugement ou la libération des dignitaires
en prison ou en résidence surveillée, le retour des personnalités politiques en exil volontaire, etc.
Dans ce cadre, le gouvernement devrait également améliorer sa stratégie de communication
publique au sujet de la gestion de la transition et de l’organisation des élections.
12. Pour mettre fin au climat politique actuel, les acteurs socio-politiques doivent s’engager
sans conditions préalables dans un dialogue politique qui permettra de purger les questions qui
pour le moment sont source de tension, afin d’éviter de retomber dans un nouveau cycle de crise
politique et de recourir à la recherche permanente du consensus au détriment du respect de la
légalité et du droit.
13. La NAM suggère aux autorités nationales de considérer sérieusement l’option de la révision
de l’ancien fichier électoral ou l’option de faire un nouveau fichier. L’avantage de cette option
serait de permettre la tenue du référendum et des élections générales dans des délais
raisonnables.
14. Au regard des risques inhérents à la situation politique, surtout en cette phase de transition,
la mission suggère aux autorités nationales de créer un cadre de concertation pour : sensibiliser
les partis politiques et autres acteurs nationaux sur la nécessité d’éviter des comportements,
discours et autres à même de susciter des conflits voire de la violence ; faciliter le règlement de
tous différends relatifs au processus de transition. Dans la perspective d’une communication
stratégique, une telle démarche devrait faire l’objet d’une communication conséquente pour
renforcer la confiance des citoyens dans ces institutions ainsi que le processus de transition.
Observations finales
15. La mission d’évaluation des besoins électoraux tient à exprimer sa profonde gratitude aux
autorités guinéennes et à tous les interlocuteurs pour leur disponibilité et pour avoir partagé
leurs points de vue. La NAM tient également à remercier la Coordonnatrice résidente du
système des Nations Unies, toute l’équipe pays, y compris la Représentante résidente a.i du
PNUD et leur personnel respectif pour leur soutien, leur disponibilité, leurs conseils et leurs
contributions tout au long de la mission.
Simon-Pierre Nanitelamio
Chef de la Mission d’évaluation des besoins
10 janvier 2025