Au Sénégal, pays musulman à près de 95%, le mois de jeûne doit débuter vendredi ou samedi en fonction des observations du croissant lunaire. Les rassemblements sont interdits dans le pays, les mosquées fermées, et l’activité économique tourne au ralenti. Les nuits de ramadan habituellement propices à la fête et à la convivialité, vont se dérouler sous un couvre-feu instauré de 20h à 6h du matin. Les Dakarois ont dû se faire une raison.
C’est un ramadan inédit qui va débuter pour les musulmans du monde entier dans le contexte de pandémie de coronavirus. Le jeûne, du lever au coucher du soleil, est l’un des piliers de l’islam. Le ramadan, mois sacré pour les musulmans constitue aussi une période de forte consommation souvent accompagnée d’une hausse des prix des denrées alimentaires.
Dans la commune des Parcelles-Assainies, quartier nord de Dakar, c’est l’affluence sur le marché « Police ». Tout le monde ou presque porte un masque, mais dans les allées, difficile de faire appliquer les mesures de distanciation sociale. Madame Sambe fait ses courses avant le couvre-feu. Cette année, elle fait particulièrement attention à ce qu’elle dépense. Son mari est un « modou modou » en Italie, autrement dit un émigré. Il ne lui envoie plus d’argent. « Le Covid-19 est là, mais mon mari n’est pas là ! Il appelle au téléphone parfois, mais il n’envoie plus d’argent, explique-t-elle. Comme les autres immigrés sénégalais en Italie, mon mari ne peut plus travailler. »
Le ramadan dans un contexte de pandémie, les Dakarois en parlent depuis plusieurs semaines. Les craintes de pénuries, l’augmentation des tarifs dans les transports alimentent les discussions. Devant son étal rempli de carottes et de navets, Awa Sow explique : « D’habitude avant le ramadan, les affaires marchent bien, mais en ce moment ça ne va pas, on doit fermer plus tôt, les gens ont peur de sortir, et l’argent manque. » Exemple : le prix du poisson fumé est passé de 500 francs CFA à 1 000 ou 1 300 ! « Mais c’est Dieu qui décide », tranche-t-elle. Avec la fermeture des frontières et la stricte limitation des liaisons intérieures, certains produits comme les lentilles ou les boîtes de conserve manquent dans la boutique de Cheikh Touré. Certains acheteurs ont aussi disparu : « Les clients fidèles sont encore là, mais ceux qui sont bloqués dans leurs villages d’origine ne peuvent plus venir à Dakar ».
Le jeûne « Rek », le jeûne, et c’est tout
Pas de déplacements, pas de rassemblements familiaux cette année. Oumou Kane, son bébé dans le dos, vient de faire un stock de vermicelles. Elle se souvient que l’an dernier, elle recevait du monde chez elle jusqu’à trois heures du matin. « Cette année, la rupture du jeûne, avec le couvre-feu, ça sera triste » concède la jeune femme. Pour ce ramadan 2020, il n’y aura pas de grands repas partagés après le coucher du soleil, ni de prières collectives jusque tard dans la nuit. Babacar Leye, ancien rappeur devenu chauffeur de taxi, a « la nostalgie » des ambiances de ramadan précédents : « D’habitude, on va à la mosquée pour prier ensemble, puis on va chez les copains, on reçoit des invitations pour aller manger chez les uns et les autres. C’était mieux ! Cette année, on va jeûner c’est tout ! Ce virus a des jambes, il court partout, et personne ne pourra entrer dans les mosquées pour prier, comme l’a dit le président de la République. »
L’organisation islamique Jamra demande la réouverture des mosquées pour le mois de ramadan, « avec des mesures d’accompagnement sanitaire ». Mais pour l’imam Abdourahmane Kane, aux Parcelles-Assainies, le Coran permet de prier chez soi en cas de pandémie : « Les prières sont obligatoires, mais il y a des manières de prier, et l’islam prévoit que chacun puisse prier à la maison. Le fait d’aller se rassembler n’est pas essentiel, car l’important pendant le mois sacré de ramadan, c’est de pratiquer le jeûne. En pareil cas d’épidémie, l’islam demande aux croyants de se méfier, de prendre leurs dispositions, de rester calmes, et de prier pour que Dieu pardonne leurs péchés. »
Assise dans le canapé du salon familial, Yaya Kane, épouse de cet imam de quartier, assure même que ce ramadan particulier pourrait être un moment privilégié de spiritualité : « D’habitude, les grands rassemblements peuvent distraire l’attention des croyants, alors que quand on prie à la maison, on peut se concentrer, ça renforce la foi. Avec ce confinement, le croyant est obligé d’être vraiment plus près de son maître. » Le ramadan, acte spirituel, est aussi un moment de charité. Ce vendredi, l’imam appellera les fidèles à la solidarité envers les plus démunis, via le haut-parleur de la mosquée.