Nucléaire iranien: «Pour Rohani, faire le premier pas serait une sorte de suicide politique»

Le sauvetage de l’accord encadrant le programme nucléaire de Téhéran devrait être évoqué vendredi 19 février lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Après l’ère Trump et la sortie des États-Unis de l’accord en 2018, Joe Biden a promis de renouer le dialogue avec l’Iran. Reste en définir les modalités. Entretien avec Vincent Eiffling, spécialiste de l’Iran au Centre d’étude des crises et des conflits internationaux, à Louvain, en Belgique.

 

RFI : Dans quel contexte ont lieu ces efforts diplomatiques ?

Vincent Eiffling : On est dans un contexte où Washington et Téhéran se renvoient la balle. À Téhéran, on exige le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire et la levée des sanctions qui avaient été prises par l’administration Trump. Tandis qu’à Washington, mais aussi en Europe, on exige que Téhéran se remette au diapason des obligations qui sont les siennes au regard des engagements pris dans l’accord sur le nucléaire.

Intense activité diplomatique pour tenter de sauver l’accord sur le nucléaire iranien

En effet, depuis plus d’un an, l’Iran a suspendu certains de ses engagements et repris certaines activités nucléaires qui lui étaient normalement prohibées au regard de l’accord qui avait été signé en 2015. Le pays justifie cette reprise par les sanctions américaines et le manque de soutien de la part des Européens. On est donc dans un contexte où personne ne veut faire le premier pas et exige de l’autre qu’il le fasse.

Le régime iranien n’a-t-il pas intérêt à faire le premier pas, vu son isolement et la situation économique catastrophique du pays ?

Si l’on s’en tient uniquement aux critères économiques, la réponse est oui. Maintenant, il faut aussi tenir compte de l’état d’esprit d’une bonne partie de la population iranienne, qui n’est plus du tout aussi favorable à l’accord sur le nucléaire qu’elle ne l’était en 2015. Énormément d’Iraniens ont le sentiment que l’Iran s’est fait rouler dans la farine, qu’on a donné beaucoup pour ne rien recevoir en retour.

Compte tenu de cela, faire le premier pas, pour l’administration Rohani et pour le camp des modérés, équivaudrait en quelque sorte à un suicide politique. Il faut également prendre en compte le contexte préélectoral en Iran, où tout signe de faiblesse aura des conséquences sur le scrutin présidentiel à venir, notamment pour le camp modéré aujourd’hui aux commandes.

Samedi 20 février, le directeur général de l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique) doit se rendre à Téhéran. Que faut-il attendre de cette visite ?

C’est une visite qui intervient dans un climat assez tendu, puisque l’Iran a annoncé qu’il allait cesser à partir du 23 février d’appliquer le protocole additionnel du traité de non-prolifération, qui permettait aux inspecteurs de l’AIEA d’effectuer des visites quasi-inopinées sur les différents sites nucléaires iraniens. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de visites, mais que celles-ci seront soumises à un préavis plus important. Autrement dit, la vérification sera moindre.

Mais le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique est en quelque sorte là pour jouer les intermédiaires. Il va certainement essayer de convaincre les Iraniens. À Téhéran, on a toujours souligné que la porte diplomatique était toujours ouverte, mais je ne doute pas que l’Iran va profiter de cette occasion pour réitérer sa position et ses exigences, souligner que ce sont les Américains qui ont quitté l’accord sur le nucléaire. Et dire, comme ils l’ont déjà fait au cours de ces dernières semaines, que si demain Washington décide de lever les sanctions et de revenir dans l’accord sur le nucléaire, Téhéran fera de même avec ses engagements, qu’il recommencera à respecter pleinement et entièrement.

 

RFI

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