Quatre jours après la chute de Kaboul, l’évacuation de milliers de ressortissants étrangers et afghans se poursuit. Ces évacuations sont toutefois difficiles à organiser et les pays occidentaux réclament des couloirs humanitaires pour permettre à tous ceux qui le souhaitent, afghans comme étrangers, de gagner l’aéroport de Kaboul.
Les premiers Afghans exfiltrés de Kaboul par la France sont arrivés mercredi 18 août à Paris. Un avion de l’armée de l’air française transportant plus de 200 passagers, dont 45 Français et une grande majorité d’Afghans, s’est posé dans la soirée à l’aéroport de Roissy. Un autre appareil français transportant 185 personnes s’est lui posé à Abou Dhabi. Les États-Unis et le Royaume-Uni continuent, eux aussi, d’évacuer des centaines de personnes, mais les pays occidentaux réclament des couloirs humanitaires.
C’est la bouée de sauvetage après laquelle courent tous les diplomates présents à Kaboul: il faut que les talibans acceptent la mise en place de couloirs sécurisés entre Kaboul et l’aéroport afin que tous ceux qui souhaitent quitter le pays puissent le faire en sécurité.
Afghanistan: à Kaboul, le rythme des exfiltrations s’accélère
Les Afghans empêchés de quitter le pays
Mais on en est très loin pour l’instant. Déjà, pour les Américains, les Français et les Britanniques, l’accès à l’aéroport est extrêmement compliqué. Il faut mettre en place des convois, il faut essayer d’obtenir des garanties sécuritaires et que les talibans sécurisent le trajet et ça, c’est déjà un casse-tête.
Mais pour les Afghans qui veulent quitter le pays, c’est bien pire. Les talibans, contrairement à leurs engagements publics, ne les laissent pas passer. Ils s’y sont pourtant engagés il y a deux jours, mais rien n’a changé. D’où cet appel lancé mercredi aux talibans par le département d’État américain: « Nous attendons des talibans qu’ils autorisent tous les citoyens américains, tous les ressortissants étrangers et tous les Afghans qui souhaitent partir à pouvoir le faire sans risque et sans violence. »
Les corridors humanitaires en discussion entre négociateurs
Cela pose aussi beaucoup de questions en particulier sur le plan politique. Est-ce que les talibans peuvent accepter que des milliers d’Afghans s’en aillent, alors que ce peuple afghan, les talibans affirment l’avoir libéré en prenant le pouvoir ? Laisser partir tout le monde, du point de vue des talibans, est-ce que ce ne serait pas se désavouer et admettre que l’idéologie talibane n’est pas la seule idéologie possible ?
Ensuite, on sait que ces corridors humanitaires dans Kaboul, c’est un sujet très sensible qui est en discussion à Doha entre négociateurs américains et délégation talibane. Imaginons malgré tout que les talibans acceptent, que vont-ils réclamer en échange puisqu’ils négocient tout ? On l’ignore encore, mais le temps passe et la fenêtre humanitaire rétrécit de jour en jour pour les chancelleries occidentales qui veulent extraire un maximum de personnes.
De violentes manifestations ont éclaté le mercredi 18 août à Jalalabad à 150 km à l’est de Kaboul. Elles se sont soldées par la mort d’au moins trois personnes, après que les talibans aient ouvert le feu sur les protestataires qui avaient tenté de hisser le drapeau national enlevé par les talibans lors de la prise de la ville le 14 août. Alors que les insurgés islamistes tentent de rassurer le monde, leur discours de réconciliation nationale peine à convaincre.
« La situation ne va faire qu’empirer. Les talibans disent qu’ils vont amener la paix à la population, mais c’est tout le contraire qui va se passer, estime cet habitant de Jalalabad. Ils agiront mal et feront des choses illégales. Chaque jour, ils deviendront plus violents. Là, au moment où je vous parle, je suis en train de franchir un check-point pas loin de chez moi. Ils sont sept devant moi. Si vous les voyiez, ils ne sont pas civilisés. »
Pour cet habitant de Jalalabad, les talibans ont gardé la mentalité des années 70-80 et 90 et il est inimaginable qu’ils puissent les contrôler: « Ils ne sont pas éduqués comme nous et nous nous sommes civilisés, mais eux ne le sont pas. Ils ne connaissent rien, pas même l’Islam. Ce sont nos ennemis. La peur est là, c’est vrai, mais il y a des choses positives comme le courage et nous nous battrons. Aussi loin que remontent mes souvenirs, les talibans ne font que tuer. Nous devons nous adapter et n’avons pas peur. Ils peuvent tuer une personne, cent ou mille personnes, mais ils ne pourront pas en tuer un million. »
Le soulèvement des femmes
Depuis la prise de Kaboul par les talibans, les femmes s’inquiètent pour leur avenir. Elles se souviennent encore de leurs conditions de vie entre 1996 et 2001, lorsque les talibans étaient au pouvoir. Durant cette période, elles ne pouvaient ni étudier ni travailler. Le port de la burqa était obligatoire en public, et elles ne pouvaient sortir de leur domicile qu’en étant accompagnées d’un homme.
Pour éviter que cette situation ne se reproduise, certaines femmes afghanes ont manifesté le 17 août à Kaboul. D’après Roh Hafza, une étudiante en informatique qui vit à Hérat, dans l’ouest du pays, les femmes afghanes doivent se soulever pour garder leurs droits: « On a reçu de nombreux messages de la part de femmes, de militantes, et elles nous ont dit que nous ferions mieux de faire entendre nos voix, nous ferions mieux de sortir de chez nous, de ne pas être effrayées. Nous ferions mieux de dire aux talibans que nous sommes des femmes, et que nous avons aussi un rôle à jouer dans ce pays. »
Roh Hafza estime que si les femmes décident de faire entendre leurs voix face aux talibans, et qu’elles leur montrent qu’elles sont suffisamment courageuses maintenant, personne ne pourra les frapper, personne ne pourra les forcer à rester chez elles et être des femmes au foyer.
« En faisant cela, nous pouvons changer beaucoup de choses, mais il faut que nous soyons courageuses. Je pense que nous pouvons continuer ce genre de manifestations, mais si nous restons chez nous, les talibans vont penser que nous n’avons pas assez de courage pour nous intégrer dans la société et montrer ce dont nous sommes capables », précise cette étudiante en informatique.
RFI