GUINÉE – Alphonse Charles Wright: «la Justice n’a plus droit à l’erreur…»

Nommé par le Colonel Mamadi Doumbouya le 8 juillet, le nouveau ministre de la justice a pris fonction ce mardi 12 juillet 2022. Lors de la cérémonie de passation de service entre Me Moriba Koné et Alphonse Charles Wright, Dans son discours, le nouveau ministre de la justice, Garde des Sceaux , martèle que la Justice n’a plus droit à l’erreur et doit jouer pleinement son rôle de garant de l’autorité de l’Etat et des droits humains.

Discours intégral 
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême ; Monsieur le Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République ;
Monsieur le Ministre Directeur de Cabinet de la Présidence de la République ; Monsieur le Ministre Secrétaire Général du Gouvernement ;
Monsieur le Garde des sceaux sortant ;
Mesdames et Messieurs les représentants de la famille judiciaire de Guinée ;
Mesdames et Messieurs, tout protocole observé propre à vos rangs, titres et fonctions ; Mes chers concitoyens de la République bénie de Guinée ; Cette cérémonie de passation de service, au-delà de la charge émotionnelle et des enjeux qu’elle représente, constitue pour nous, un moment privilégié de remercier et de rendre grâce à Allah, le Maitre Absolue pour avoir inspiré le choix de Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, Président du conseil Supérieur de la Magistrature le Colonel Mamadi DOUMBOUYA qui m’a honoré de sa confiance en me nommant dans un premier temps à la tête du Parquet Général de Conakry et qui la renouvelle dans un second temps, en me confiant la charge d’exercer les fonctions de Ministre de la Justice, Garde des Sceaux.
Qu’il veuille bien recevoir ici, et à travers lui, l’ensemble des acteurs qui œuvrent à ses côtés au Comité National pour le Redressement et le Développement (CNRD) pour la réussite de la transition, les remerciements et la gratitude qui sont miens ainsi que ma détermination à agir pleinement pour la normalisation du service public de la Justice qui doit être hissé à la hauteur des attentes légitimes de nos concitoyens.
Mes vifs remerciements vont également à Monsieur Mohamed BEAVOGUI, Premier Ministre, Chef du Gouvernement, pour son appui inlassable à la justice ainsi qu’à tous les membres du Gouvernement.
Je remercie tous les magistrats, Chefs de Greffe, Greffiers et Secrétaires de Greffe qui se battent au quotidien pour servir loyalement les justiciables en quête d’une justice indépendante, impartiale répondant à leur préoccupation fondée sur le respect du principe de l’égalité de tous devant la loi ainsi qu’aux cadres du Ministère de la Justice qui travaillent pour la réalisation des objectifs stratégiques d’un département aussi sensible et délicat.
Que les partenaires techniques et financiers intervenant dans le cadre de la réforme de la Justice trouvent dans la présente allocution mes sentiments de gratitude et de remerciement.
Je mesure avec humilité et gravité cette confiance et l’immensité de la mission que mes collaborateurs et moi-même, devront réussir pour retisser la confiance entre les justiciables et la Justice qui doit désormais être un allié sûr pour la Démocratie et un garant fiable pour l’Etat de droit en Guinée.
Mesdames et Messieurs,
Il n’y a aucun doute que c’est dans le cadre de la poursuite des efforts de refondation de l’Etat que s’inscrit le récent décret relatif au changement intervenu au sommet de notre Département et dont la présente cérémonie est la suite logique.
Autrement dit, les défis liés à la modernisation et à la normalisation de la Justice nécessitent aujourd’hui une intensification des efforts de réforme de ce secteur, s’il est vrai que celui-ci doit jouer un rôle de premier plan, ainsi que l’ont promis les plus hautes autorités de la transition, dans leurs efforts tendant à jeter les bases d’un Etat de droit dans notre pays.
Dans cette dynamique, la Justice n’a plus droit à l’erreur et doit jouer pleinement son rôle de garant de l’autorité de l’Etat et des droits humains. Autrement dit, nous de la famille judiciaire devons avoir toujours présent à l’esprit que les disfonctionnements notoires de la Justice figurent au nombre des principales causes de l’avènement, le 05 septembre 2021, du Comité National de Redressement pour le Développement (CNRD), ainsi que l’a souligné le Colonel Mamadi DOUMBOUYA, Président de la Transition, Chef suprême des Armées ; ce qui doit nous exhorter à plus d’unité et de responsabilité.
Nos concitoyens ont soif de la Justice et de liberté. Ils aspirent à une Justice débarrassée de la corruption, de concussion, une justice certes implacable, mais aussi humaine, une Justice au service de la vérité, une justice qui protège les justiciables contre l’arbitraire et toutes les formes d’abus et persécutions.
En outre, une justice qui ne fuit pas sa responsabilité dans le cadre de la défense des droits humains, de la paix publique, de la sécurité publique et le respect de l’autorité de l’Etat par l’application sans complaisance de la loi, rien que la loi.
Le Président de la République concentre toute son attention et ses priorités à la Justice et il veut qu’elle soit la boussole qui nous guide et tient aussi à ce qu’elle soit accessible à tous les guinéens sans exception.
Aux fins de répondre à ces attentes, nous allons suivre et poursuivre l’exécution des réformes et tâches prioritaires du Département, conformément aux conclusions des états généraux de la Justice ténus en mars 2011.
Ainsi, il y a lieu de :
* Faciliter l’accès aux droits et à la justice pour tous les citoyens ;
* Soutenir et amplifier les efforts de lutte contre la corruption ;
* Appuyer l’engagement des nouvelles autorités pour davantage de transparence et la moralisation de la gestion des affaires publiques par le renforcement de la capacité de la Cour de Répression des Infractions Economiques et financières (CRIEF) ;
* Lutter efficacement contre les viols perpétrés contre les filles mineures et les femmes ;
* Donner à la justice des mineurs les moyens et le personnel conséquents pour son bon fonctionnement ;
* Mieux équiper les Cours et Tribunaux et améliorer leur fonctionnement au quotidien ;
* Prendre des mesures utiles pour anticiper sur le vieillissement et le départ à la retraite des magistrats et autres acteurs judiciaires ;
* Assurer une meilleure protection judiciaire des Droits de l’Homme ;
* Assurer la protection sociale, la formation et le renforcement des capacités des agents pénitentiaires ;
* Humaniser les pratiques et procédures dans les lieux de détention et de privation de liberté en nous conformant aux bonnes pratiques respectueuses des droits humains et de nos engagements internationaux ;
* Générer une confiance durable auprès des investisseurs nationaux et étrangers à travers une justice équitable et impartiale.
Mesdames et Messieurs,
Toutes ces priorités et tant d’autres trouveront une place de choix dans notre plan d’actions.
Le déroulement efficace de ces mesures prioritaires et leur succès dépend essentiellement d’une double condition :
Tout d’abord, le soutien de Monsieur le Président de la République et de l’adhésion du Gouvernement tout entier.
Ensuite, et c’est tout aussi essentiel, notre réussite dépend de l’adhésion et l’unité de toute la communauté judiciaire : Magistrats, Avocats, membres des professions réglementés et tous autres acteurs.
A court terme, nous nous fixons comme priorité :
* La validation du projet de politique pénale du Gouvernement conformément à l’article 37 du code de procédure pénale dont nous avons la charge de conduire et de veiller à la cohérence de l’application sur le territoire de la République ;
* La signature des projets de texte d’application du code de procédure pénale ;
* La signature des textes d’application du régime juridique des établissements pénitentiaires et du statut du personnel pénitentiaire ;
* La validation des résultats de l’évaluation du plan d’actions prioritaires de réforme de la Justice 2015-2019 ;
* La résolution de la situation des magistrats mis à la retraite pour leurs pensions qui n’a que trop duré ;
* L’adoption et la validation du projet de décision portant Attributions et Organisation du Service de la Gestion de la Carrière et des Pensions des Magistrats ;
* La proposition d’un mouvement général des Magistrats et Greffiers en tenant compte des critères de probité, d’intégrité et d’expérience.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption au sein de l’appareil judiciaire et la célérité dans le traitement des procédures judiciaires, j’ambitionne de :
* Doter le Ministère de la Justice et des droits de l’Homme d’un logiciel lui permettant de s’enquérir, en temps réel, des actes pris par les différents services judiciaires et pénitentiaires et de qualification juridique pour une meilleure mise en œuvre de la politique pénale tant des parquets généraux que des parquets d’instance qui sont placés sous le contrôle du Garde des Sceaux ;
* Renforcer les capacités de l’Inspection Générale des services judiciaires pour permettre des inspections périodiques, inopinées sanctionnées par des rapports cohérents ;
* La mise en place d’un numéro vert pour dénoncer en temps réel des cas de corruption sous toutes ses formes que tout justiciable, les organisations non gouvernementales et associations régulièrement constituées conformément à la loi seront ramenés à constater de manière objective, sans diffamation ou dénonciation calomnieuse dans les juridictions à travers tout le pays.
Dans le cadre de l’accès au droit et à la justice, j’ambitionne de :
* Renforcer les capacités du Centre de Formation Judiciaire pour un recrutement de cent (100) magistrats et greffiers pour combler et renforcer le personnel judiciaire suite à la retraite prochaine des magistrats et greffiers qui seront appelés à faire valoir leur droit à la retraite conformément à la procédure en la matière ;
* Construire des palais de justice digne de ce nom en lieu et place de vieille bâtisses pour la plupart ;
* Assurer la formation continue de l’ensemble du personnel judiciaire et pénitentiaire du pays ;
* Mettre en place le fond d’aide juridictionnelle pour permettre l’accès de tous à une justice plus proche des justiciables ;
* Prévoir dans les budgets de fonctionnement des juridictions les frais liés à la tenue des audiences criminelles et des audiences criminelles foraines pour éviter les détentions prolongées des personnes en attente d’être jugées ;
* Etendre les maisons de justice aux différentes préfectures ;
* Assurer le suivi de la mise en place du Casier Judiciaire Central ;
* Construire et équiper les Tribunaux de Première Instance ;
* Construire et équiper de nouveaux locaux pour abriter la Cour Suprême ;
* Construire et équiper les Cour d’Appel de Labé et N’zérékoré pour rapprocher la justice des justiciables ;
* Construire et équiper des logements de fonction pour les Chefs de juridiction, de parquet et de Greffe à l’intérieur du pays ;
* Veiller à la bonne exécution des travaux de construction et à l’équipement des Tribunaux de Première Instance de Kindia, Mamou et Kankan financés par l’Union Européenne ;
* Construire et équiper le Tribunal de Première Instance de Dubréka dont les fonds sont déjà disponibles depuis longtemps dans le cadre de la construction des infrastructures pour les fêtes tournantes pris entièrement en compte par le budget national ;
* Doter le Tribunal pour Enfant de locaux et d’équipements appropriés ;
* Doter les juridictions de budgets de fonctionnement pour un service public de qualité.
Dans le cadre de l’amélioration des conditions de détention, il est impérieux de se pencher à court, moyen et long terme sur :
* La construction de nouvelles maisons d’arrêts répondant aux normes internationales et les équiper de fourgons cellulaires ;
* La construction également des prisons civiles répondant aux normes internationales ;
* Et la dotation de l’ensemble des juridictions et prisons de forages et panneaux solaires.
Pour le renforcement des capacités des ressources humaines, il est impératif et ce, sans délai de :
* Doter les Chefs de juridiction, de parquet et de Greffe en véhicules de fonction ainsi que d’un véhicule de liaison pour l’ensemble du personnel de chaque juridiction ;
* Doter le personnel pénitentiaire de chaque localité de tenues et d’équipements de sécurité adéquats ;
* Prévoir des primes d’encouragement significatives pour le personnel judiciaire et pénitentiaire des préfectures enclavées.
Dans le cadre de la lutte contre l’impunité :
* Veiller à la finition des travaux de construction du tribunal ad-hoc devant abriter le procès des évènements du 28 Septembre 2009 ;
* Veiller à la poursuite et la continuation de la procédure relative aux crimes de sang ;
* Veiller à la poursuite des infractions commises sur les espaces cybercriminels notamment sur des réseaux sociaux de nature à porter atteinte à la dignité, à la sécurité et à la paix publique conformément à l’article 37 du code de procédure pénale.
Evidemment, les rubriques énumérées ci-dessus sont des orientations par rapport aux axes d’intervention prévus dans la lettre de mission du Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme.
Elles mentionnent la vision que j’ai déjà de la Justice pour répondre aux attentes des citoyens et celles de Monsieur le Président de la Transition.
Chers collègues Magistrats,
Depuis près de dix-huit (18) ans, un Magistrat n’a présidé la destinée du Ministère de Justice et des Droits de l’Homme, et aujourd’hui c’est chose faite. C’est un message de confiance que le Président de la Transition, Chef Suprême des Armées, le Colonel Mamadi DOUMBOUYA envoie à l’opinion publique nationale et internationale que l’échec ou la réussite de la Transition repose sur les institutions judiciaires à tous les niveaux.
Cette responsabilité lourde exige le respect par chaque Magistrat du siège ou du parquet des règles éthiques et déontologiques liées au statut des magistrats telles que prévues et définies par la loi organique L/054/CNT/2013.
En plus de la sécurité que l’Etat doit assurer aux Magistrats, il est important d’ajouter que les droits acquis dont ils ont bénéficiés doivent être préservés.
En revanche, toute faute professionnelle ou tout manquement par un Magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité de la profession sera sanctionné conformément à la loi.
Les cas d’absentéisme au service qui entrainent la lourdeur dans le traitement des dossiers et qui sont d’ailleurs constitutifs de manquements graves aux devoirs de résidence de Magistrats prévus par les dispositions de l’article 33 de la loi organique précitée ne seront plus tolérés.
Je tiens à adresser à l’ensemble de la famille judiciaire un message bienveillant et les invite à une implication effective et à jouer leur partition responsable dans la mise en œuvre des réformes en cours et celles à venir.
Je veux aussi leur dire, que je ne suis contre personne, je ne veux faire la guerre à personne. Ce que je veux, c’est qu’ensemble nous changions ce qui est pire dans notre justice et gardions ce qu’elle offre de meilleur.
Les sanctions qui seront prises en cas de manquement ou suite à une plainte portée contre un Magistrat conformément à l’article 38 de la loi organique portant statut des Magistrats seront objectivement prises et proportionnées aux faits de nature à entrainer une sanction disciplinaire contre ledit Magistrat après vérification pour éviter l’arbitraire.
Je salue le soutien et les efforts de nos partenaires techniques et financiers et les invite aussi à resserrer les rangs et amplifier leurs appuis pour la poursuite des réformes.
Dès demain, des rencontres vont avoir lieu avec tous les acteurs de la justice, à savoir : la Cour Suprême, le Conseil Supérieur de la Magistrature, l’Association des Magistrats, le Barreau de Guinée, les Chambres Nationales des Huissiers de Justice et des Notaires, les Commissaires-Priseurs, les Associations d’Avocats, les chefs de juridictions et de parquets, ainsi que les Chefs de Greffe en vue de recueillir leurs points de vues sur le fonctionnement de la justice, leurs recommandations et nous permettre de les intégrer dans notre plan d’actions prioritaires.
C’est ensemble que nous allons réussir et c’est pourquoi je vous invite à méditer sur cette pensée du feu Président Nelson MANDELA :
« L’espérance d’une vie réussie n’est pas à la une de la victoire, mais de la conscience et du sentiment d’avoir été à la hauteur de ses responsabilités ».
A présent, je donne la parole aux actes et vous invite au travail.
Fasse Allah accorder Sa grâce et Ses bénédictions à la Guinée.
Je vous remercie.

 

TBD/ Louis De Funès DIALLO et Fatoumata Diaraye Bah, pour MONDEMEDIA.info

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