L’annonce de l’utilisation des caméras de surveillance à des fins d’expérimentation aux examens nationaux session 2023 en République de Guinée par les autorités du ministère de l’enseignement pré-universitaire et de l’alphabétisation sonne comme un aveu d’impuissance, de manque de stratégies et une reconnaissance tacite des nombreuses fraudes qui ont émaillé les examens nationaux session 2022. Elle est aussi discriminatoire d’autant plus que la mesure va être appliquée à certains centres d’examen supposés être potentiellement frauduleux et non appliquée sur d’autres centres d’examen supposés être moins frauduleux alors que tous les candidats doivent être mis dans les mêmes conditions d’évaluation. De l’autre côté, on fait de l’organisation des examens nationaux la priorité des priorités puisqu’il y a de l’argent à se partager. Et au même moment rien n’est fait sur le terrain pour réguler et améliorer la qualité des enseignements et des apprentissages. Des milliards ont été débloqués pour organiser des inspections et des formations tape à l’œil qui n’ont même pas touché 20 % des enseignants et n’ont eu aucun impact positif sur le niveau des apprenants. Le ridicule dans tout ça, c’est qu’on veut mettre des caméras dans les écoles délabrées qui n’ont pas d’installation électrique et de source d’énergie.
Tout cet amateurisme et toute cette propagande populiste montrent à suffisance que toutes nos critiques portant sur les examens nationaux session 2022 étaient objectives sinon on n’allait pas penser utiliser les caméras de surveillance cette année. Il y a eu des fraudes au niveau des élèves mais aussi des fraudes systémiques commises par les cadres du système éducatif et ce malgré que les gens aient juré sur la Bible et le Coran, sans oublier l’implication de la gendarmerie et de la police dans le processus des examens.
D’ailleurs les téléphones qui ont été saisis sur les candidats sont restés sans suite. Le manque d’enseignants, les effectifs pléthoriques, les classes multigrades sont encore perceptibles partout dans le pays.
Cet argent qu’on utilise dans l’achat des caméras de surveillance pouvait servir à résoudre en partie ces dysfonctionnements constatés sur le terrain.
Pour nous, la meilleure façon de moraliser les examens nationaux consiste à mettre en place un système éducatif de qualité capable d’aider les élèves dans l’acquisition des compétences nécessaires pour réussir et non pas pour échouer injustement. Il faut également améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants en créant un choc d’attractivité, facteur de motivation et de performance. Je pense bien qu’on pouvait faire l’économie de ces dépenses inutiles tout en optant pour des enseignements et des apprentissages de qualité.
Cette nouvelle annonce n’aura qu’un seul effet : créer un traumatisme psychologique chez les candidats alors qu’on devrait travailler à la dédramatisation qui ne sont que de simples évaluations.
Il est impératif et urgent de procéder à une réforme structurelle des examens nationaux en procédant à la mise en œuvre des recommandations suivantes :
■ L’opérationnalisation de l’office national du Baccalauréat. Tout était mis en place. Il restait juste le projet de décret portant nomination de ses membres
■ L’instauration d’une 2ème session de rattrapage pour les candidats du Baccalauréat ayant obtenu une moyenne variant entre 8,00 et 9,99. Cela se fait dans tous les pays du monde où on fait l’examen du Baccalauréat.
■ Création de Baccalauréats technique, professionnel et industriel. Les admis seront directement orientés dans les écoles techniques et professionnelles qui ne doivent pas être des écoles de seconde chance mais de première chance au même titre que les universités.
■ La biométrie pour tous les candidats des examens nationaux pour éviter les cas de substitution et d’autres formes de fraude, de falsification de documents, d’usurpation d’identité et de saignée financière. Elle est source de production de listes de candidats fiables et sécurisées
■ La suppression de l’examen du certificat d’études élémentaires (CEE) trop budgétivore (45 % du budget des examens nationaux), sources d’enrichissement illicite via la surfacturation des coûts de matériels, de centre fictifs et autres dépenses fictives. Alors que ce diplôme n’a aucune valeur ajoutée pour le candidat
■ La création des jurys régionaux de correction du baccalauréat pour éviter que tous les correcteurs se retrouvent à Conakry.
■ Le rétablissement temporaire du secrétariat en attendant une meilleure appropriation des techniques d’utilisation des nouvelles feuilles d’examen et des stickers qui ont été préjudiciables à beaucoup de candidats.
■ L’audit des copies des candidats pour détecter les vraies causes de cet échec massifs des élèves aux examens nationaux session 2022 et situer objectivement les responsabilités.
■ Rehausser les primes en lien avec les examens nationaux.
■ Publier les résultats de l’audit des téléphones saisis sur les candidats et les sanctions pénales infligées sur eux pour éviter la récidive en 2023.
Enfin nous invitons le CNRD à faire de l’éducation la priorité des priorités pas dans les discours mais dans les actes. Le capital humain est la première et la plus grande richesse d’un pays.
Selon les experts de la banque mondiale : « Une population instruite, en bonne santé et bien nourrie rapporte davantage à l’économie que la seule construction de routes et de ponts. »
D’ailleurs, il conviendrait désormais que les décideurs de notre pays fassent de l’éducation n’ont pas un secteur social mais un véritable secteur économique.
Michel Pépé Balamou