RWANDA- La mort «suspecte» d’un journaliste inquiète les organisations de défense des droits humains

Human Rights Watch et Reporters sans frontières demandent une « enquête indépendante et transparente » pour « élucider les circonstances » de la mort de John Williams Ntwali.

Il était l’un des derniers journalistes rwandais à oser enquêter sur des sujets gênants pour les autorités. John Williams Ntwali, reporter chevronné, critique assumé des dérives du gouvernement de Paul Kagame et fondateur du site d’information Ireme News, est mort au petit matin du mercredi 18 janvier dans un accident de la route à Kigali, selon la police. La nouvelle, rendue publique plus de vingt-quatre heures plus tard, suscite depuis de nombreuses questions de la part des organisations de défense des droits humains, qui accusent régulièrement le gouvernement rwandais de réprimer toute voix dissidente.

« Les autorités devraient permettre une enquête efficace, indépendante et transparente sur la mort suspecte de John Williams Ntwali », demande ainsi Human Rights Watch (HRW), estimant dans un communiqué que cela n’a pas été le cas lors d’autres décès dans des circonstances troubles de dissidents rwandais, comme le suicide du chanteur Kizito Mihigo en 2020. Reporters sans frontières (RSF), citant des proches, précise que les jours précédant sa mort, John Williams Ntwali se sentait en danger et qu’il était suivi partout où il allait.

« Dans un pays où surveillance, espionnage, arrestations arbitraires et disparitions forcées font partie des fréquents coups montés contre les journalistes critiques du pouvoir, il est nécessaire d’élucider les circonstances de la mort de ce journaliste », estime Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF. L’administratrice de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid), Samantha Power, a également appelé de ses vœux une enquête indépendante, se disant « très attristée et inquiète après la mort de John Williams Ntwali ».

Arrêté à plusieurs reprises

« Les insinuations sans fondement n’avancent à rien », a réagi Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement, qui précise sur Twitter que « huit Rwandais sont morts dans des accidents de moto-taxi ce mois-ci ». Les autorités assurent que le conducteur de la voiture qui a percuté le deux-roues qui transportait John Williams Ntwali a été arrêté et sera jugé. Le dossier aurait déjà été transmis au parquet. Le motard est quant à lui à l’hôpital. « Laissez les enquêteurs de l’accident faire leur travail », demande Mme Makolo.

Il avait notamment couvert la lutte des habitants du bidonville de Kangondo, à Kigali, contre leur expropriation

Avec plus de vingt ans de carrière derrière lui, John Williams Ntwali était bien connu des Rwandais, tout comme des services de police, qui l’ont arrêté à plusieurs reprises. Passé par plusieurs médias locaux, il avait lancé Ireme Newsen 2012, puis une chaîne YouTube, Pax TV. Ces dernières années, il avait couvert la lutte des habitants du bidonville de Kangondo, à Kigali, engagés dans une bataille judiciaire contre leur expropriation, et relayé des cas d’arrestations de journalistes et de disparitions de citoyens rwandais. Il avait également pris la direction de la rédaction du journal en ligne The Chronicles, initialement fondé par Christopher Kayumba, un ancien professeur d’université passé dans l’opposition à Paul Kagame, aujourd’hui derrière les barreaux suite à une accusation de viol.

John Williams Ntwali a été enterré dimanche 22 janvier dans le district de Kamonyi, à l’ouest de Kigali, en présence de plusieurs figures de l’opposition. « C’est un choc pour nous tous. C’était un journaliste engagé, travaillant sur des sujets en lien avec les droits humains et la démocratie », affirme Frank Habineza, député du Parti démocratique vert, qui a assisté aux obsèques. « Il était l’un des seuls journalistes professionnels rwandais à encore oser me tendre le micro », rapporte de son côté Victoire Ingabire, à la tête du parti Dalfa-Umurinzi, non reconnu par les autorités.

Des youtubeurs emprisonnés

L’opposante assure qu’elle avait rendez-vous avec le reporter pour un entretien le 18 janvier. John Williams Ntwali n’a pas répondu aux messages toute la journée. Et c’est le lendemain, dans la soirée, que la nouvelle de son décès a été communiquée. La police a expliqué que ce délai correspondait au temps qu’il a fallu pour identifier le journaliste, qui n’avait pas de carte d’identité sur lui. « Le Rwanda est un pays où il est difficile de s’exprimer librement et où peu de journalistes relayent les critiques de la population. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour remplacer John Williams Ntwali, car les autres sont en prison », conclut Victoire Ingabire.

Au Rwanda, classé 136e sur 180 pays en termes de liberté de la presse par RSF, certains journalistes ou dissidents se sont tournés vers YouTube, non sans risques. Ces deux dernières années, au moins quatre personnes utilisant la plateforme de vidéos pour critiquer le gouvernement ont été arrêtées. Dieudonné Niyonsenga, journaliste youtubeur propriétaire de la chaîne Ishema TV, a ainsi été condamné à sept ans de prison en 2022 pour usurpation d’identité, falsification de documents et entrave aux travaux publics. Tandis que le procès de Théoneste Nsengimana, derrière la chaîne Umubavu TV, est en cours. Il est en détention depuis son arrestation en octobre 2021, accusé de « diffusion de fausses informations ».

John Williams Ntwali a couvert certains de ces dossiers judiciaires. « Au Rwanda, les journalistes youtubeurs font l’objet de menaces et d’insultes incessantes », confiait-il au Monde Afrique en novembre 2021. « Nous sommes parfois accusés de faire le lit de l’opposition ou même d’être des “forces négatives”. Ce sont des accusations très graves. De nombreux journalistes youtubeurs ont donc décidé de laisser tomber. » 

Avec Lemonde

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