ROME- Charles Wright porte la voix de la Guinée à la 13ème réunion internationale des ministres de la Justice (discours)

C’est un honneur et un agréable plaisir pour ma délégation et moi de participer aux présents travaux de la 13è Réunion internationale des ministres de la Justice autour de ce thème d’actualité, plein de sens à savoir : « Un monde sans peine de mort ».

Je me permets, au nom du Président de la Transition, Chef de l’Etat, Chef Supreme des Armées, Colonel Mamadi DOUMBOUYA ainsi que de son Gouvernement, de remercier la Communauté Sant’ Egidio pour l’initiative d’organiser cette rencontre internationale qui est l’occasion pour notre pays de porter sur la scène internationale notre vision face à cette question devenue une préoccupation mondiale.

En outre, la remercier de l’excellente relation bilatérale qu’elle entretient avec la Guinée sur le plan de la santé et surtout l’appui pour la formation en perspective des gardes pénitentiaires.

Notre pays la République de Guinée a amorcé depuis le 05 septembre 2021, un vaste chantier de réformes dans tous les secteurs de la vie publique notamment celui de la justice pour le respect de ses engagements internationaux en matière de promotion et de protection des droits de l’homme.

Nous sommes convaincus que le respect du droit à la vie est conforme aux différentes conventions internationales dûment ratifiées par la République de Guinée.

La gouvernance actuelle a introduit dans la charte de la Transition le respect du droit à la vie et l’obligation de l’Etat à lutter contre tout traitement inhumain, cruel et dégradant.

En rappel, depuis 2002 notre pays a suivi un parcours logique visant le respect du droit à la vie en observant un moratoire de fait sur l’exécution de la peine de mort.

Par rapport à la thématique, objet de la présente rencontre, notre pays salue les efforts inlassables des Nations-Unies et la Communauté de Sant’ Egidio en faveur de l’abolition de la peine de mort à travers le monde. Nous estimons sans risque de nous tromper que cette lutte pour l’abolition de cette peine doit fédérer toutes les énergies pour aider les pays à mieux intégrer ce mécanisme dans leur législation interne.

Permettez-moi de partager le modèle guinéen qui peut servir à un compromis dynamique dans les pays où les facteurs socioculturels constituent de véritables obstacles à l’adoption de cette position courageuse qui ne semble pas souvent préoccuper le politique.

En mars 2011, notre pays avait organisé les Etats généraux de la Justice au moment où la peine de mort était expressément indiquée dans les dispositions de notre code pénal d’alors en son article 14 qui faisait de la fusillade, la sanction encourue pour les crimes les plus graves notamment l’assassinat.

Au cours de ces états généraux, il avait relevé que la législation nationale pénale comportait bien des points qui méritaient d’être revus eu égard de son caractère disparate, discriminatoire, anachronique, obsolète, inadaptée à l’environnement socioculturel et non-conforme à certains engagements internationaux du pays.

Pour y remédier, notre pays avait logiquement fait adopter, en 2016, un nouveau Code pénal et un nouveau Code de procédure pénale ainsi que d’autres lois pénales spécifiques, tels que le Code de justice militaire, le Code de l’enfant, la loi portant lutte contre le blanchiment de capitaux et la loi portant lutte contre la corruption et les infractions assimilées.

Ces différents textes législatifs ont en commun de ne pas prévoir la peine de mort d’où l’approche de l’omission volontaire en attendant l’abolition expresse. Désormais, l’application de la peine de mort n’est plus d’actualité dans l’arsenal juridique pénal. Autrement dit, la peine de mort est, à ce jour, remplacée par la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 30 ans.

Vous êtes alors en droit de vous poser les deux questions fondamentales suivantes et auxquelles j’ai le devoir d’apporter des réponses autant claires que précises au regard des orientations des autorités de la Transition :

– D’abord, l’omission de la peine de mort dans le Code pénal guinéen équivaut-elle à son abolition et, si non, pourquoi alors une telle démarche ?

– Ensuite, l’abolition de la peine de mort est-elle d’actualité en cette phase de transition en Guinée, et si oui, où en est-on ?

La réponse au premier volet de la première question est, sans équivoque, non. Mais, la Guinée est résolument engagée vers une abolition explicite pour mieux garantir la protection du droit à la vie en conformité avec nos engagements internationaux.

Les raisons de cette démarche stratégique préférant l’omission de la peine de mort à son abolition explicite résidaient dans un passé proche de l’action de notre organe législatif en l’occurrence, l’Assemblée nationale d’alors qui s’était retrouver face à deux options pour l’adoption des nouveaux textes répressifs :

– est ce maintenir la peine de mort ; ce qui, au demeurant, était à l’époque majoritairement partagé par l’opinion publique en Guinée, laquelle dénonçait de fortes pressions en provenance d’horizons divers (option de maintien de la peine capitale par les députés) ;

– est-ce il fallait obéir aux valeurs et principes fondamentaux, du reste, incompatibles avec l’existence de cette peine dans l’arsenal juridique du pays (option d’abolition).

Face à cette situation, l’Assemblée nationale d’alors a préféré concilier les deux positions en optant pour une démarche souple, mais responsable, à travers l’omission qui est alors une première étape du processus d’abolition dans notre pays qui pourra inspirer d’autres vers cette première option.

En tout état de cause, la démarche s’est révélée payante puisqu’à l’occasion des débats parlementaires, certains députés ont fait part de leur disponibilité à voter même immédiatement une loi d’abolition explicite.

La refondation de l’Etat prôné par le Gouvernement guinéen et le Conseil National de Rassemblement pour le Développement, le retour de la peine de mort dans le droit interne, à travers un texte juridique particulier quelconque, heurterait, avant tout, le caractère sacré de la vie humaine et le droit au respect de l’intégrité physique et morale des personnes, consacrés par les dispositions de l’article 10 de la Charte de la Transition. L’article 11 de la même Charte interdit les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants comme nous l’avons rappelé plus haut.

Notre pays souscrit à la Déclaration de Stockholm de 1977, qui considère la peine de mort comme le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit car violant le droit à la vie. De même, elle souscrit à la Résolution 2005/59 des Nations-Unies qui proclame que l’abolition de la peine de mort est indispensable à la protection du droit à la vie.

Le Gouvernement de la Transition sous la clairvoyance du Président de la Transition, Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées, estime également que le retour de la peine de mort violerait également le principe de la proportionnalité des délits et des peines à propos duquel la doctrine retient l’exigence d’une juste mesure entre l’infraction et la peine, c’est-à-dire la nécessité de la peine.

Autrement dit, la position de notre pays voudrait qu’il y a proportionnalité lorsque la peine est strictement et évidemment nécessaire à la protection de la société, à l’exclusion donc de toute peine de substitution. Il est évident que la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 30 ans peut bien remplacer la peine de mort pour châtier efficacement le criminel.

En effet, une longue détention a fortiori perpétuelle – si elle est effective – est plus douloureusement ressentie par le délinquant qu’une soudaine privation de sa vie. A ce sujet, il convient de rappeler qu’en janvier 2006, une dizaine de détenus de la prison de Clairvaux en France, condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, avaient formulé une réclamation commune en ces termes : « Nous, les emmurés vivants, appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous, afin d’en finir une bonne fois pour toutes, plutôt que de crever à petit feu », fin de citation.

N’étant donc pas nécessaire, la peine de mort n’est pas proportionnée.

En outre, notre pays considère qu’en adhérant au Statut de Rome, il admet ainsi que les crimes les plus graves, tel que le génocide, sont punis de la réclusion criminelle à perpétuité. Il serait, dès lors, disproportionné de prévoir dans la législation interne la peine de mort pour des infractions moins graves, tel que l’assassinat.

De surcroit, la Guinée ayant adhéré à la Cour pénale internationale (CPI), il va sans dire que le retour de la peine de mort conduirait à une injustice abominable.

Notre pays martèle que le retour de la peine de mort dans le droit interne traduirait également un manque de cohérence dans son comportement et porterait donc atteinte à une valeur universelle. Ce retour constituerait un obstacle pour la Guinée en matière d’extradition, d’autant plus que la pratique internationale voudrait qu’un Etat qui a aboli la peine de mort n’extrade pas vers un Etat dont la législation prévoit cette peine.

Nous faisons remarquer que la peine de mort est irréversible, alors même que la justice humaine est faillible. Cela est d’autant plus vrai que la vérité met souvent de longues années à paraître.

Pour preuve à nos jours, l’ADN ne permet-il pas de démasquer le vrai coupable plusieurs décennies après l’exécution du condamné innocent ? Ne révèle-t-il pas l’innocence plusieurs décennies après de celui dont on a privé le droit à la vie ? Et si la vie est entre-temps enlevée, comment rendre la justice ?

En d’autres termes, s’il est avéré qu’un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité est innocent au vu de son ADN, par exemple, on peut toujours réparer l’erreur, c’est-à-dire le libérer, l’indemniser et lui permettre de réintégrer sa famille et la société ; ce qui n’est pas possible s’il a été déjà exécuté.

Bref, la vertu dissuasive de la peine de mort n’est ni plus ni moins qu’un mirage. Plus exactement, c’est le sentiment d’impunité – et non pas l’absence de la peine de mort – qui pousse au crime.

Pour finir, nous rassurons que dans le cadre de la mise en œuvre des orientations des plus hautes autorités de la Transition, notamment la lutte contre l’impunité, le Gouvernement a notamment fait entreprendre récemment le procès des évènements du 28 septembre 2009 et adopter la loi portant protection des victimes, des témoins et des autres personnes en situation de risque. L’histoire de dire que notre pays n’oublie pas les victimes des atrocités et autres crimes.

En outre, par rapport à la question qui nous réunit, le ministère de la Justice et des droits de l’homme vient d’élaborer un avant-projet de loi abolissant la peine de mort en Guinée et commuant en réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 30 ans les peines de mort déjà prononcées et non encore exécutées. Cet avant-projet de loi sera, dans les jours qui suivent, soumis à l’approbation du Conseil des ministres.

Bien sûr, le bon aboutissement du processus requiert certaines mesures d’accompagnement et dont la mise en œuvre – vous le conviendrez avec moi – nécessite l’intervention des partenaires techniques et financiers. Au nombre de ces mesures, figurent notamment :

  • la poursuite des efforts de vulgarisation de la nouvelle législation pénale ;
  • l’amélioration du fonctionnement de la chaîne pénale ;
  • la construction d’établissements pénitentiaires répondant aux standards internationaux ;
  • la construction de centres de réinsertion sociale.

A cet égard, au nom du Gouvernement et du Président de la Transition, Chef de l’Etat et Chef suprême des Armées, le Colonel Mamadi DOUMBOUYA, je tiens déjà à remercier les partenaires techniques et financiers impliqués dans le processus de réforme des secteurs de la justice et des droits de l’homme en Guinée. En même temps, je souhaite l’accompagnement de tous, afin de garantir l’édification d’une justice indépendante, diligente, efficace et respectueuse des droits de l’homme, ainsi que la promotion des droits de l’homme, en Guinée.

Sans nul doute, c’est à ce prix et à ce prix seulement que l’abolition de la peine de mort, qui est une préoccupation notamment des organisateurs de la présente rencontre, sera édictée et appliquée avec succès en Guinée.

Je vous remercie.

ALPHONSE CHARLES WRIGHT

GARDE DES SCEAUX,

MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE L’HOMME DE LA REPUBLIQUE DE GUINEE

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