GUINEE- On va jusqu’à étaler sur la place publique les confidences des morts pour rehausser nos éclats ternis…(Siaka Barry)

Le sentiment humain a foutu le camp pour le sentiment humanoïde, quand l’intelligence humaine a foutu le camp pour l’intelligence artificielle.


Il y a désormais chez chacun de nous, comme un penchant au voyeurisme généralisé qui flotte dans l’air du temps.

On passe le temps à se guetter, à s’épier et à s’espionner à mille lieues, par la magie néfaste de ce bout d’écran collé à nos mains.

Le brin d’humanisme qui nous restait a déserté nos cœurs, le brin d’intelligence qui subsistait en nous, a fui nos cerveaux, le tout s’étant réfugié dans nos doigts fébriles au contact de l’android.

Au début des temps, Satan fit croquer la pomme à Ève ; en cette fin des temps, Steve parachèvant son oeuvre fait croquer le reste de la maudite pomme à toute l’humanité.

Le premier nous initia aux commérages et à la jalousie, le second nous forme à la médisance, à l’envie et à la haine du prochain.

Les « réseaux sociaux » ont tué en nous tous les « réflexes sociaux » qui nous éloignaient jusqu’ici de la bestialité.

Un seul clic anonyme au bout du monde, vous suffit aujourd’hui pour disloquer les foyers, dissoudre les alliances et rompre les fraternités.

Le vestibule de jadis a cédé le pas au chatroom, tandis que des blogueurs et coaches aux profils douteux ont pris le relais des prophètes, des devins et de nos vieux sages d’antan.

Nous avons poussé le voyeurisme loin, très loin, jusqu’aux frontières de la mort.

Le voisin est désormais scruté jusque dans son deuil. Au lieu d’aider le veuf à pleurer sa compagne, les orphelins à apaiser leur douleur, on se délecte de leur malheur, on se réjouit de leur tourmente.

On épie çà et là des bribes de conversations discordantes (propres à toutes les familles), on enregistre et on en fait un feuilleton.

Hier on partageait les peines, aujourd’hui on partage les audios, dans le sombre dessein d’étendre l’adversité politique sur le champ du social et de l’humain.

On va jusqu’à étaler sur la place publique les confidences des morts pour rehausser nos éclats ternis.

On ne se borne plus à perturber la quiétude des vivants, on cherche désormais à troubler le repos des morts !

À défaut de pleurer avec le veuf, respectons au moins son deuil, à défaut de soulager les orphelins, permettons à la défunte de reposer au moins en paix ! Pour une fois taisons-nous et prions.

Siaka Barry

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