GUINEE- Diallo Telli, premier secrétaire général de l’OUA, étoile filante panafricaine (RFI)

«Un grand intellectuel», «un diplomate chevronné», «un panafricaniste rare». Les qualificatifs louangeurs ne manquent pas pour décrire la personnalité de Boubacar Diallo Telli. En moins de vingt ans, le haut fonctionnaire guinéen aura laissé une empreinte indélébile chez tous ceux qui l’ont côtoyé, pour son rôle de premier plan dans la construction de l’unité africaine.

Mais si ses admirateurs ne tarissent pas d’éloges à son sujet, ils fustigent avec tristesse son caractère naïf, lorsqu’il accepte de rentrer chez lui en Guinée pour occuper la fonction de ministre de la Justice. Une nomination prestigieuse décidée par Ahmed Sékou Touré, premier président de la Guinée indépendante, et qui se transforme vite en piège mortel pour Diallo Telli. Tous se demandent pourquoi cet éminent Africain promis à une grande carrière internationale se jette-t-il volontairement dans la gueule du loup ?

Né en 1925 à Porédaka, au coeur du Fouta Djalon, l’enfant Peul commence par l’école coranique avant l’école primaire de sa localité, puis le secondaire à la ville-carrefour de Mamou. Élève brillant, toujours parmi les meilleurs de sa promotion, il est vite remarqué par ses professeurs guinéens et français, qui l’encouragent poursuivre son cursus à la capitale Conakry, avant d’atterrir à William Ponty, la prestigieuse école coloniale de Dakar, qui a formé les plus grands représentants de l’élite intellectuelle, économique et politique ouest-africaine.

Son baccalauréat en poche, il part étudier à Paris à la faculté de droit et de sciences politiques située en plein Quartier latin, lieu fréquenté par nombre d’étudiants africains. Il obtient son diplôme de l’École nationale de la France d’outre-mer, de quoi gravir les marches les plus hautes de l’administration coloniale.

Nommé substitut du procureur au tribunal de Thiès au Sénégal, il attire l’attention des responsables politiques de l’Afrique occidentale française (AOF). Choisi pour poursuivre sa carrière de magistrat au tribunal de Cotonou au Dahomey (actuel Bénin), il reste finalement à Dakar, où en 1957 son aura le fait facilement élire secrétaire général du Grand conseil de l’AOF, institution créée dix ans auparavant censée servir de représentation parlementaire des populations issues des colonies africaines de la France. C’est à l’époque la plus haute fonction assumée par un Africain dans l’administration coloniale.

Lors du référendum constitutionnel français du 28 septembre 1958, auquel participent les colonies qui doivent décider de leur appartenance à la Communauté française, la Guinée vote « NON » à près de 97 % et, le 2 octobre suivant, devient le premier pays d’Afrique francophone à proclamer son indépendance. Un choix porté par le bouillonnant et charismatique Ahmed Sékou Touré, qui devient de fait le président, au grand dam de Charles de Gaulle, pour qui le leader guinéen devient un ennemi personnel.

Premiers pas sur la scène internationale

Une fois l’indépendance acquise, Diallo Telli quitte immédiatement l’administration coloniale pour se mettre au service de sa nation. Sékou Touré lui confie une mission délicate : obtenir l’adhésion du nouveau pays à l’ONU. La tâche paraît presque impossible, tant la France multiplie les actions auprès des diplomates du monde entier pour mettre en échec le régime auto-proclamé révolutionnaire.

La biographieDiallo Telli, le tragique destin d’un grand Africain(éd. Jeune Afrique Livres) d’André Lewin, ex-ambassadeur de France en Guinée et ami proche de Sékou Touré, décrit les premiers jours de Telli à New York. «Le 8 décembre 1958, la délégation du Ghana organise un déjeuner autour de Diallo Telli. Plusieurs ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité ont accepté l’invitation. La délégation française a bien reçu un carton, mais a préféré s’abstenir. (…) Tous les convives qui ne le connaissent pas encore n’ont pas caché leur sympathie pour Diallo Telli, ce jeune et brillant Africain qui fait ses premiers pas sur la scène internationale et sait faire preuve avec discernement d’un mélange bienvenu de combativité et de retenue depuis son arrivée à New York six jours auparavant.» Le jour suivant, le Conseil de sécurité adopte le projet de résolution pour l’admission de la Guinée à l’ONU, un vote à main levée auquel seule la France s’abstient.

Diallo Telli (à dr.) et le camerounais, Charles Okala.© Wikimedia Commons

Cette victoire pour la Guinée est avant tout celle de Diallo Telli, qui a su séduire ses homologues par la seule force de son verbe et la cohérence de son raisonnement. Sékou Touré le garde aux États-Unis comme ambassadeur et représentant permanent de son pays aux Nations Unies jusqu’en 1964.

En cinq ans, il cumule les missions en Afrique et dans le monde, il en profite pour alourdir son carnet d’adresse et se forme à la diplomatie multilatérale et au fonctionnement des instances internationales. Il est «témoin, et parfois acteur, de la formidable montée en puissance du Tiers Monde sur la scène internationale. Les non-alignés ont pu avoir l’impression que l’on était entré dans une ère nouvelle, qui devait immanquablement déboucher sur la défaite du colonialisme, l’échec de l’impérialisme, la fin du « directoire »des grandes puissances » poursuit André Lewin.

La naissance de l’OUA

À l’Assemblée générale de l’ONU, le jeune diplomate guinéen joue de son influence pour faire adopter l’importante résolution 1514 sur la «déclaration de l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux», dont il est le principal rédacteur et sur laquelle il s’appuiera pour accompagner la libération desdits peuples les années suivantes. Élu et réélu vice-président de l’Assemblée générale, il la quitte pour s’orienter complètement vers l’Afrique, qui s’apprête à fonder sa propre institution continentale.

Le 25 mai 1963, 32 chefs d’État africains se réunissent à Addis-Abeba, en Éthiopie, pour fonder l’Organisation de l’unité africaine (OUA) sous l’impulsion du président ghanéen et« père » du panafricanisme africain Kwame Nkrumah. L’OUA affiche l’ambition de faciliter l’union et la solidarité entre pays africains pour parachever la décolonisation et se libérer du racisme de l’apartheid. Pour occuper le poste de secrétaire général administratif, le nom de Diallo Telli tourne naturellement dans les couloirs, lui qui a grandement contribué à l’architecture juridique de la nouvelle instance. Il peine pourtant à se faire élire en juillet 1964, notamment à cause de Sékou Touré qui commence déjà à se méfier du diplomate qui s’est forgée une stature mondiale un peu trop haute à ses yeux.

 

Son poste ne lui donne aucun réel pouvoir, mais Telli l’utilise pour faire avancer ses principes panafricanistes, fustigeant les états membres qui ne paient pas leur cotisation annuelle, imposant son agenda, adoptant un drapeau pour l’organiastion. En fin stratège, il n’hésite pas à répondre aux journalistes, faisant de lui le porte-parole officieux de l’OUA et de la conscience africaine. Une attitude qui exaspère quelques présidents et ministres, au point de le surnommer « Diablo Telli ». Guerre du Biafra, mercenaires du Congo-Kinshasa, différent guinéo-ivoirien… Telli ne ménage pas ses efforts pour construire l’unité africaine.

En 1972, après deux mandats à l’OUA, et pressenti pour prendre la tête de l’ONU, Sékou Touré le nomme ministre de la Justice. À l’époque, Diallo Telli, qui ne réside pas en Guinée, accepte le poste. Une décision complètement incompréhensible pour ses proches et son entourage au vu de la paranoïa de plus en plus évidente du leader révolutionnaire et de la terreur qu’il a progressivement instaurée dans le pays.

Le retour funeste au pays

Dans son livreLa vérité du ministre, l’ex-ministre des Affaires étrangères Alpha-Abdoulaye Diallo dit « Porthos » explique : «Je n’arrive pas à comprendre ce qui a poussé Telli à regagner ce pays. Il ne pouvait ignorer toute la haine que Sékou Touré et son frère Ismaël nourissaient contre lui (…) Suite au «complot des militaires« , le régime avait fait dénoncer des cadres, dont moi-même, qui seront tous arrêtés, à l’exception de… Telli, simplement parce qu’il assurait le secrétariat de l’OUA.»

Ce témoignage va tragiquement se révéler prémonitoire. Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1976, une Jeep de la Sûreté s’arrête au domicile de Telli. Son fils Alpha Oumar a 22 ans ce soir-là : «On a dîné à la maison, puis j’ai pris ma motopour me allerà l’université. Je suis revenu vers 2h du matin et j’ai trouvé un véritable bataillon au portail qui était venu le chercher et qui l’a emmené. Ce repas du soir, c’est la dernière fois que je l’ai vu. Ma mère m’a raconté qu’ils ont dit à mon père: « Le Comité révolutionnaire te demande ».Mon père a demandé s’il pouvait d’habiller, il a dit au revoir à ma mère et il est monté dans la jeep. On juste revu sa photo dans un journal où il était vraiment amoché et en prison.»

Durant son incarcération, Diallo Telli subira la torture et d’autres traitements dégradants. Quelque jours plus tard, il « avoue » être au centre du « complot peul », un complot parmi plein d’autres et sorti de l’imaginaire paranoïaque de Sékou Touré (bien que certains complots aient effectivement été ourdis par des puissances étrangères, dont la France et le Portugal). Le haut magistrat est notamment soumis à la « diète noire» : il est privé d’eau et de nourriture jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le 1er mars 1977, Diallo Telli meurt dans sa cellule 52. Il est enterré dans une fosse commune avec d’autres détenus en banlieue de Conakry, sans cérémonie officielle ou religieuse. Sa famille, qui obtient confirmation de son décès seulement en 1984 à la mort de Sékou Touré, n’a jamais retrouvé les restes de sa dépouille. «Beaucoup pensent qu’il est au cimetière de Nongo. Ce qui est sûr, c’est que ma mère a fait encadrer le site, régulièrement on s’y rend pour le nettoyer un peu», poursuit Alpha Oumar Diallo Telli.

Travail de mémoire

Mohamed Béavogui, neveu de Diallo Telli, confie que «SékouTouré voulait organiser un sommet de l’OUA à Conakry. Mais les chefs d’État lui ont expliqué que c’était impossible tant que leur premier secrétaire Diallo Telli demeurait en prison. Ce sommet n’a jamais pu se faire car mon oncle était déjà mort.» Lui-même diplomate à la carrière onusienne et internationale, M. Béavogui, ingénieur mécanique de formation, affirme que son oncle a été «une inspiration» : «Mes homologues et mes aînés me parlent encore de lui, alors même qu’ils ne savent pas toujours que je suis son neveu».

En 2021, suite au putsch militaire du 5 septembre, Mohamed Béavogui est nommé Premier ministre de la transition assurée par le colonel Mamadi Doumbouya. Mais l’aventure politique n’aura pas duré un an. En décembre 2021, l’aéroport de Conakry est rebaptisé du nom d’Ahmed Sékou Touré. Une décision qui divise dans le pays, et qui choque le neveu de Telli : «Ce qui m’a le plus dérangé, ce n’est pas le nom. Quoiqu’on puisse dire, Sékou Touré a énormément soutenu la lutte anti-coloniale en Afrique, peut-être plus que quiconque. C’est la manière de faire qui m’a profondément dérangée car cette décision a été prise sans même me consulter, alors que j’étais chef du gouvernement.»

«On a totalement modifié l’histoire de la Guinée, renchérit le fils, Alpha Oumar Diallo Telli.Pour la jeunesse d’aujourd’hui, Diallo Telli est connu, mais c’est comme leur parler de Napoléon. C’est un personnage historique, ni plus, ni moins. Il y avait encore un petit espoir pour la transmission de sa mémoire, mais avec l’arrivée des militaires du CNRD admirateurs de Sékou Touré, ça s’est totalement gâté. Aujourd’hui, c’est Sékou Touré le héros. Diallo Telli mérite mieux, mais l’Histoire s’écrit toujours progressivement, il sera peut-être réhabilité à l’avenir.»

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