En Afrique, l’heure de la mobilisation en faveur d’une convention sur les crimes contre l’humanité a sonné

« En fait, pourquoi aurions-nous besoin d’une convention sur les crimes contre l’humanité alors que nous avons déjà le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ? ». Cette question, beaucoup d’activistes se la sont posée lors d’une discussion de groupe à laquelle j’ai assisté à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire.

Alors qu’il reste à peine six mois avant que la Sixième Commission des Nations Unies ne décide si le Projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité doit servir de base à la négociation d’une convention, il est impératif de sensibiliser davantage les acteurs au Projet d’articles, en particulier sur le continent africain. L’Afrique compte en effet le plus grand nombre d’États n’ayant pas encore adopté une position officielle concernant l’ouverture de négociations sur la base du Projet d’articles.

Une convention sur les crimes contre l’humanité serait de fait distincte du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. D’abord et avant tout parce que la compétence de la CPI se limite à la responsabilité pénale individuelle, alors que la convention sur les crimes contre l’humanité que beaucoup appellent de leurs vœux concernerait la responsabilité des États en matière de prévention et de répression des crimes contre l’humanité. Un tel traité permettrait précisément à des États de demander des comptes à d’autres États devant la Cour Internationale de justice en cas de non-respect de ces obligations.

Alors que le génocide et les crimes de guerre font l’objet de traités spécifiques – la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et les Conventions de Genève – les crimes contre l’humanité existent en droit international coutumier. L’adoption de dispositions claires, codifiées dans une convention, serait bien plus avantageuse. De fait, la nécessité de combler cette lacune est si évidente que je n’ai encore jamais rencontré un ou une activiste qui ne souhaite pas s’engager en faveur d’une telle convention après avoir compris sa finalité.

Lors de notre discussion avec les défenseur·euse·s ivoirien·ne·s des droits humains, une question s’est donc rapidement imposée : comment convaincre de manière efficace la Côte d’Ivoire et les autres États africains de soutenir l’ouverture de négociations en vue d’un traité ?

La Sixième Commission des Nations Unies s’est réunie en avril à New York pour examiner le Projet d’articles et les opinions de fond des États quant à l’opportunité de passer à des négociations formelles en vue d’un traité. Plus de 70 pays se sont déjà prononcés pour. Toutefois, il faudra rassembler davantage de soutiens pour parvenir à un consensus – le mode de décision qui prévaut au sein de cette commission – sur le passage à la phase de négociations.

Plusieurs gouvernements africains ont affiché une position claire. La Sierra Leone s’est particulièrement distinguée par son rôle moteur, avec l’Afrique du Sud et la Gambie. Le Ghana et les États africains lusophones – Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe, Guinée équatoriale et Cabo Verde – se sont également déclarés en faveur de négociations en vue d’un traité lors de la session d’avril. Quelques États avaient déjà exprimé leur soutien auparavant, dont le Sénégal et la Tunisie.

On peut toutefois regretter que les pays africains qui n’ont pas encore arrêté de position officielle quant à l’opportunité d’entamer des négociations en vue d’un traité sur les crimes contre l’humanité soient encore trop nombreux. Parmi eux figurent des États qui ont souvent adopté par le passé des positions favorables sur les questions relatives à la reddition des comptes, comme la Zambie, le Malawi, le Lesotho, la Namibie, le Botswana, le Bénin, la Guinée, le Libéria, la Côte d’Ivoire et l’Ouganda, pour n’en citer que quelques-uns.

Global Justice Center a fait circuler une série de propositions pour améliorer le Projet d’articles, notamment pour faire en sorte que le traité reflète efficacement la dimension de genre et qu’il soit axé sur les survivant·e·s. Selon nous, les crimes suivants devraient être expressément incorporés dans le Projet d’articles : mariage forcé, violence reproductive, apartheid de genre et traite des esclaves. Nous plaidons également pour la suppression de formulations concernant les législations nationales sur la grossesse, qui sont au mieux dénuées de sens, pour le retrait de la définition du genre du Statut de Rome, et pour l’ajout d’une définition des victimes qui prenne en compte tout le spectre du statut de victime ainsi que d’un langage tenant compte des besoins des victimes, s’agissant notamment de la question des réparations.

Mais la priorité est de faire avancer le processus, qui est en suspens au sein de la Sixième Commission depuis plusieurs années, pour passer à la phase suivante, celle des négociations en vue d’un traité au cours desquelles l’examen de propositions spécifiques peut se poursuivre.

Les défenseur·euse·s, les activistes et les expert·e·s sont unanimes. Plus de 400 groupes de la société civile et personnalités, dont beaucoup représentent le continent africain, ont signé une déclaration conjointe appelant leurs gouvernements à soutenir l’ouverture de négociations en vue d’un traité sur les crimes contre l’humanité.

Les pays, en particulier les nombreux pays africains qui ne se sont pas encore officiellement prononcés en faveur de négociations pour un traité, doivent répondre à cet appel.

Elise Keppler est directrice exécutive de Global Justice Center (GJC), une organisation qui utilise le droit international pour parvenir à l’égalité des sexes. Elle a rejoint GJC en janvier 2024, après deux décennies passées au sein du programme Justice internationale de Human Rights Watch, où elle s’est consacrée à la justice internationale dans différents contextes en Afrique. Un mini-site hébergé par GJC sur la convention tant attendue est disponible à l’adresse suivante : https://cahtreatynow.org/.
On y trouve des ressources ainsi que le texte de la déclaration conjointe, qui continue d’engranger de nouveaux soutiens chaque semaine.

Cette tribune a été publiée pour la première fois dans le Daily Maverick le 12 mai.

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