L’agriculture en Afrique : un patrimoine indissociable de la culture (Par Honorable Mamadou Thug)

 

Dans mes interventions, j’ai toujours insisté sur le rôle multidimensionnel de l’artiste, bien au-delà du simple divertissement, qui ne constitue qu’une infime partie de sa mission. En tant qu’éducateur, médecin social et pilier de l’économie, l’artiste joue un rôle clé dans le développement de nos sociétés. C’est dans cette optique que je souhaite souligner le lien étroit entre la culture et l’agriculture en Afrique, et plus spécifiquement en Guinée.

La culture au cœur des travaux agricoles

En Afrique, évoquer l’agriculture sans reconnaître la contribution cruciale de la culture et des artistes, c’est passer à côté d’une dimension essentielle de nos communautés rurales. Depuis des générations, les chants et les musiques traditionnels accompagnent les travaux agricoles, insufflant courage, harmonie et solidarité. Sans cette dimension culturelle, les activités agricoles deviendraient bien plus lourdes et monotones.

Prenons l’exemple du Fouta Djallon, où les journées de Kilédji – ces grands travaux collectifs sur plusieurs hectares – sont indissociables de la présence des artistes. La légendaire Binta Laly Sow, véritable icône culturelle, a débuté sa carrière en participant à ces travaux collectifs entre Lelouma, sa ville natale, et Télimélé, où elle a grandi. Avec son groupe traditionnel, armé d’instruments et de voix inspirantes, Binta Laly et ses compagnons motivaient les travailleurs, transformant les champs en scènes d’effort collectif et de communion culturelle. Ces artistes, véritables catalyseurs d’énergie, étaient aussi indispensables que les outils agricoles eux-mêmes.

Dans le Mandingue, un autre exemple éclatant est celui de la regrettée Mama Diabaté. Avant de conquérir les scènes internationales, elle faisait briller sa voix dans les champs de Faranah, son village natal. Lors des journées de Konkoba, ses chants envoûtants accompagnaient les cultivateurs, transformant les efforts en moments de partage et de communion. Mama Diabaté incarne l’essence d’un art enraciné dans les traditions locales, mais capable de transcender les frontières pour rayonner à l’échelle mondiale.

Un moteur économique et social

Dans nos sociétés africaines, la musique n’est pas un simple loisir : elle est un véritable moteur économique et social. Elle rythme les travaux agricoles, fédère les énergies collectives et préserve notre identité culturelle, même au cœur des champs. Par conséquent, toute réflexion sur le développement agricole en Afrique doit impérativement intégrer cette dimension culturelle. L’ignorer reviendrait à méconnaître les dynamiques communautaires qui structurent nos sociétés.

Les artistes – chanteurs, conteurs, Farba, Djely ou percussionnistes – jouent un rôle fondamental dans la valorisation de notre patrimoine agricole et culturel. Par leurs œuvres, ils transmettent des valeurs, mobilisent les énergies et renforcent la cohésion sociale autour d’activités vitales comme l’agriculture.

Une agriculture au-delà de l’économie

Alors que l’Afrique s’efforce de relever les défis de la sécurité alimentaire et du développement durable, il est essentiel de reconnaître et de préserver cette symbiose entre culture et agriculture. Le progrès agricole ne peut se limiter à l’introduction de machines ou à l’application de politiques économiques ; il nécessite aussi la valorisation des traditions qui, depuis toujours, soutiennent nos communautés.

En honorant la mémoire d’artistes légendaires comme Binta Laly Sow et Mama Diabaté, et en célébrant les musiques et chants qui accompagnent nos semailles et nos récoltes, nous affirmons que l’agriculture en Afrique dépasse largement le cadre économique. Elle est une véritable expression culturelle et identitaire, un patrimoine vivant à protéger et à transmettre.

Mamadou Thug
Conseiller national au CNT
Membre de la Commission Santé, Éducation, Affaires sociales et culturelles,
Artiste comédien et défenseur de la culture et des traditions africaines