L’ancien ministre d’Alpha Condé considère que la Cedeao s’enlise dans la complaisance et les compromissions. Et estime qu’elle ne pourra se relever qu’en appliquant indistinctement les règles à tous ses membres.
La Cedeao traverse la plus grave crise de son histoire récente. C’est un euphémisme de dire que l’organisation ouest-africaine est à la fois aux abois et aux abonnés absents : ne disposant plus de moyens de pression conséquents ni d’un pouvoir de dissuasion effectif, elle est passée d’un rôle de veille et de « père fouettard » à une coquille vide qui se débat pour assurer sa survie ou prolonger son agonie.
Que reste-t-il de la Cedeao ? Peut-être le sigle et le symbole, après qu’elle est devenue l’ombre d’elle-même à cause d’une série de revers et d’une défiance de plus en plus ouverte et violente. Elle a raté le coche au Niger, où elle a fini par ranger les armes alors qu’elle avait déclaré urbi et orbi qu’elle interviendrait militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel rompu par le coup d’État du général Abdourahamane Tiani. Un putsch qualifié de « trop », car venant allonger une série d’autres survenus dans des pays membres de la Cedeao : Mali, Guinée et Burkina Faso. Ce sont précisément ces coups de force qui semblent avoir sonné le glas de l’institution sous-régionale.
D’un compromis à un autre, sans tenir compte de sa vocation, de ses missions, ni même des dispositions de ses propres textes, la Cedeao a fini par perdre une grande partie de son influence et de sa prestance.
Tibou Kamara
Fraîchement élu président de la République fédérale du Nigéria, Bola Tinubu, désigné dans la foulée président en exercice de la Cedeao, avait promis de redorer le blason de l’organisation dont il venait de prendre la tête, en commençant par mettre un terme à ce que certains ont qualifié d’« épidémie de putschs ». Le Niger fut le test. Alors qu’il avait juré que sa main ne tremblerait pas, que la Cedeao ne serait pas « sans crocs » afin de pouvoir mordre en cas de besoin, il n’a ni dépassé le stade des bonnes intentions ni réussi à faire plier la junte aux commandes à Niamey. Ses pairs et lui n’ont même pas pu obtenir des concessions a minima.
La faillite de l’institution incombe aux chefs d’État
On pourra toujours arguer que la division du bloc occidental, entre la France partisane d’une ligne dure et les États-Unis plus conciliants, n’a pas permis à la Cedeao d’aller jusqu’au bout de ses résolutions de fermeté. Cependant, la faillite de l’institution incombe, en premier lieu, aux Africains eux-mêmes, notamment aux chefs d’État qui ont des intérêts divergents et ne partagent jamais la même lecture des crises. Il y a toujours eu un seuil de tolérance et une ambivalence dans la prise de décisions, ce qui a empêché l’intransigeance sur les principes et la cohérence dans les prises de position. D’un compromis à un autre, sans tenir compte de sa vocation, de son mandat, de ses missions, ni même des dispositions de ses propres textes, la Cedeao a fini par perdre une grande partie de son influence et de sa prestance, se retrouvant aujourd’hui dans une impasse.
La Cedeao s’enlise, chaque jour un peu plus, dans la complaisance et les compromissions.
Tibou Kamara
Ses émissaires viennent d’être renvoyés, sans ménagement, par le président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, celui-là même qui fut président en exercice de la Cedeao et semblait foncièrement acquis à sa cause. La raison invoquée est que les visiteurs n’auraient pas suivi à la lettre la feuille de route du pouvoir. Par ailleurs, le nouveau président du Ghana, John Dramani Mahama, à peine investi dans ses fonctions, a pris son bâton de pèlerin pour sillonner les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) afin de convaincre, voire supplier, leurs dirigeants – qui ont claqué la porte de la Cedeao avec bruit et fracas – de revenir dans la maison commune.
On constate que la Cedeao est réduite à se plier aux caprices des uns et aux désidératas des autres, car elle persiste à fuir ses responsabilités et s’enlise, chaque jour un peu plus, dans la complaisance et les compromissions. D’où une cour assidue aux dissidents et toutes les tractations en cours pour sauver la face. On semble préférer la solidarité dans le mal, l’union de façade, au risque de s’isoler pour défendre des valeurs et normes communément admises. Tout bien considéré, la Cedeao est victime d’elle-même et ne pourra se relever que si elle applique indistinctement les règles et se fait respecter par tous.