L’organisation de défense de droits de l’homme, mondialement connue, a 60 ans aujourd’hui. Née au Royaume-Uni d’une première victoire, la libération de prisonniers d’opinion, Amnesty International poursuit son combat autour de la planète pour la protection des droits humains. Le mouvement rassemble aujourd’hui plus de dix millions de personnes dans le monde. Entretien avec Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France.
RFI : En 60 ans, de nouvelles crises sont apparues, le terrorisme, la crise des migrants, les printemps arabes, le Covid-19, etc. Qu’est-ce qui a changé dans le domaine des violations des droits de l’homme ?
Cécile Coudriou : D’une manière générale, ce sont les droits humains eux-mêmes qui sont beaucoup plus remis en cause que lorsque nous avons commencé notre combat. Et cela même dans des démocraties, dans des régions du monde où on n’avait pas le sentiment que ça serait là qu’on aurait le plus de travail aujourd’hui. Des pays confrontés à des drames comme effectivement le terrorisme, mais aussi la façon dont les dirigeants appréhendent les migrations. Je ne dis pas crise migratoire car, pour nous, il n’y en a pas. C’est une crise de l’accueil. Ces deux exemples montrent que des dirigeants peuvent s’éloigner des droits humains sans aucune vergogne.
Les pays dits « développés » violeraient ainsi plus des droits de l’homme qu’il y a 60 ans ?
Absolument. Le logiciel lui-même du droit international relatif aux droits humains est moins tenu pour acquis et peut être menacé de l’intérieur. Et c’est pourquoi, alors que nous avons obtenu beaucoup d’avancées, paradoxalement, nous nous retrouvons dans une situation où nous devons amplifier notre travail.
La crise climatique et ses conséquences s’inscrivent-elles dans vos domaines d’action ?
En effet, l’urgence climatique et toutes ses conséquences sur les droits humains font partie de nos enjeux majeurs aujourd’hui. C’est un sujet qui préoccupe beaucoup de citoyens et donc d’associations qui sont spécialisées là-dedans. Ce qui est intéressant, pour nous, est la complémentarité que l’on peut avoir avec une organisation comme Greenpeace ou plus récemment Fridays for Future, par exemple. On met vraiment l’accent sur le lien entre non seulement les dommages causés sur l’environnement mais aussi la crise climatique qui a des effets absolument désastreux sur les droits humains. Le premier d’entre eux étant le droit à la vie, puisque de nombreuses personnes perdent la vie à cause de catastrophes naturelles. Il y a également des violations en cascade, comme le droit à la santé, au logement, à un environnement sain, tous ces droits fondamentaux qui peuvent être directement liés à la crise climatique.
Et à cela s’ajoute notre combat historique pour défendre les activistes, ceux que nous appelons des défenseurs des droits humains. Ils sont particulièrement menacés dans bien des régions du monde en raison de leur activité militante et nous allons, par exemple, soutenir ces communautés. Au Nigeria, l’entreprise Shell avait déversé des hydrocarbures dans le delta du Niger, causant des dommages incroyables pour la communauté qui vivait sur place, la privant de moyens de subsistance. Dans ces cas-là, nous venons en appui à ces communautés locales, fermiers, pêcheurs, etc., pour les aider à obtenir justice. Nous avons donc contribué à ce que ces gens obtiennent des dédommagements, 55 millions de livres ont été versées. Ce fut une victoire. Et puis nous continuons, car il faudrait aussi que la zone soit totalement nettoyée pour retrouver, justement, un environnement sain.
Nous menons aussi des actions pour les personnes déplacées en raison de la crise climatique et qui doivent faire valoir leurs droits à pouvoir quitter leur pays et s’installer ailleurs. Ces situations sont causées par des entreprises avec soit la complicité, soit malheureusement une absence d’action, de la part des États.
Quels sont les domaines où il y a le plus de combats à mener aujourd’hui ?
Il y a des combats qui sont historiques mais qui restent totalement pertinents, notamment notre combat pour défendre les prisonniers d’opinion ; tout ce qui concerne la liberté d’expression, la liberté de réunion, donc de manifestation, la liberté d’association. Ce sont des droits qui sont aujourd’hui menacés, même dans des pays dits démocratiques pour diverses raisons : des raisons politiques, des raisons de lutte contre le terrorisme qui mène à des dérives. C’est un combat que nous continuons de mener et qui prend des formes nouvelles au fur et à mesure que, justement, le monde évolue.
Ainsi, par exemple, nous allons aussi faire très attention à tout ce qui se passe en ligne. Il y a aujourd’hui des capacités accrues de surveillance pour pouvoir traquer les activistes en ligne et ensuite les persécuter. Il y a tout un travail que nous menons aussi sur la protection des défenseurs en ligne. Les enjeux de surveillance sont apparus avec beaucoup plus d’acuité avec les nouvelles technologies. Le numérique est un bienfait pour pouvoir mobiliser mais c’est tout autant un outil de surveillance et de répression utilisé par les États autoritaires et c’est donc un combat qui est toujours autant d’actualité, même s’il est véritablement historique.
Il y a aussi un combat permanent contre toutes les formes de discriminations. Et ça ne va pas en s’arrangeant, évidemment, lorsqu’il y a soit des crises économiques, soit des situations comme celle que nous vivons en ce moment avec la pandémie. Cela a des effets à la fois sur les droits civils et politiques lorsque les citoyens veulent se révolter contre la façon dont l’État a mal géré, par exemple, la réponse à la crise. C’est aussi l’aspect socio-économique d’une pandémie, où les discriminations et les inégalités sont accrues, plus encore envers certains groupes déjà marginalisés, les minorités raciales mais aussi parfois religieuses qui sont déjà stigmatisées, et bien évidemment aussi les personnes migrantes et réfugiées. Notre travail consiste donc aussi à être particulièrement vigilants pour continuer de porter un discours de solidarité internationale, de respect des droits fondamentaux, dans des situations où, au contraire, l’environnement conduit plutôt à un repli sur soi et à moins de partage, à davantage de stigmatisation et d’égoïsme.